Dans sa forme ancienne et traditionnelle le vêtement arabe se compose de trois éléments principaux, d’abord le Izâr, qui couvre la partie basse du corps, ensuite le Qamîs ou Ridâ`, couvrant pour sa part la partie haute, et enfin la ‘Amâma ou turban, qui se met sur la tête. Notons qu’on trouve aussi le Burda (ou al-‘Abâ`a) qui est un vêtement ample que l’on met sur soi, dans le monde arabe il est souvent l’apanage des grands et des leaders, mais n’importe qui peut le porter notamment lors des grandes occasions ou bien au moment de recevoir des invités. Il est important de signaler que ce vêtement arabe traditionnel extrêmement simple se porte jusqu’à nos jours incarnant parfaitement la vie simple arabe dépouillée de tout superflu et de tout esprit basé sur le paraître. Remarquons qu’autrefois les Arabes portaient des armes pour des raisons évidentes de sécurité, puis au fil du temps ce qui avait un but pratique a revêtu un but esthétique, les armes devinrent alors des objets d’ornement complétant la tenue traditionnelle arabe et d’ailleurs cette habitude s’est perpétuée jusqu’à nos jours dans certaines parties du monde arabe comme au Yémen ou à Oman.
Il ne fait aucun doute que le vêtement arabe a subi au fil des époques des modifications plus ou moins importantes découlant des multiples évolutions sociales et géopolitiques qu’a connues le monde arabe, évolutions qui furent souvent le résultat du contact des Arabes avec des éléments humains exogènes issus d’autres sociétés et civilisations qui s’intégrèrent au sein du monde arabe, de même que dans le même temps la sphère de domination des Arabes s’étendit rapidement et très loin des bases historiques et traditionnelles de ces derniers, et ce, grâce évidemment au mouvement impulsé par l’Islam, ce qui les amena à être en contact avec des populations aux cultures diverses et hétéroclites.
Malgré la rareté des informations données par les sources historiques concernant le vêtement arabe traditionnel et donc la difficulté de retracer une chronologie précise de son évolution, en cherchant bien il est possible de trouver des textes démontrant clairement que le fait politique avait une part importante dans les évolutions que connut le vêtement arabe, de même que ces sources nous montrent que ces évolutions étaient en lien direct avec la division des classes sociales au sein des sociétés arabes traditionnelles, nous allons ci-dessous tâcher d’illustrer cette assertion par quelques exemples :
- Dès les débuts de l’Etat omeyyade, les califes, gouverneurs et autres princes se mirent à porter un vêtement particulier qui leur octroyait une prestance les distinguant facilement du commun des mortels, et ce, alors que jusqu’à l’avènement des Omeyyades, il était difficile de distinguer les hommes de pouvoir musulmans de leurs administrés, ils mangeaient et buvaient comme eux, montaient les mêmes montures et s’habillaient strictement comme eux.
- Au cours de la domination de l’Etat abbasside, les gens de sciences et autres oulémas se sont peu à peu distingués des autres individus par le port de vêtements distincts, globalement leur tenue se différenciait par des manches plus longues, un turban plus imposant et le fait qu’ils portaient un manteau typiquement persan, notons en outre que les oulémas abbassides mettaient sur leur tête une sorte de haute toque appelée al-dûrquiyya, ils étaient ainsi très facilement reconnaissables, ce qui probablement leur amenait respect et considération de la part des autres membres de la société.
- Puis fut inventé le « turban vert » – comme l’appelle al-Suyûtî – en 1371 sous l’impulsion du souverain Cha’bân ibn Husayn roi d’Egypte et du Châm, c’est ainsi qu’il fit de ce turban un signe de distinction des « nobles », c’est-à-dire les Gens de la Maison prophétique.
- Puis les sociétés arabes évoluèrent encore et se développèrent en leur sein des vêtements directement rattachés à un métier, il était alors possible de distinguer directement le soldat, du paysan, du maçon…
Pour être complets, outre les évolutions historiques du vêtement arabe traditionnel ou parallèlement à celles-ci, nous nous devons de mettre en évidence la géographie de ce vêtement – si tant est que cette expression fasse sens – au sein du monde arabe où celui-ci était un élément de distinction clair entre diverses régions du même ensemble civilisationnel. Ainsi, les sources nous montrent que la distinction par le vêtement dans les sociétés arabes est apparue très tôt, laquelle distinction ethnoculturelle s’est mêlée dès les premiers temps de la civilisation arabo-musulmane à des facteurs plus politiques. A ce propos al-Hâfiz ibn Kathîr, rappelant les événements de l’année hégirienne 204, a évoqué le fait que lorsque le calife al-Ma`mûn a pris le pouvoir en Iraq, le vêtement typiquement bagdadien est devenu vert et tout vêtement de couleur noir fut systématiquement détruit ce qui prit environ huit ans pour être achevé. Puis le calife al-Ma`mûn demanda à Tâhir ibn al-Husayn, qui était son plus grand chef de guerre et ministre, quelles étaient ses requêtes, et la première chose que ce dernier demanda au calife fut la réintroduction de la couleur noire dans la société, car c’était la couleur de ses aïeux fondateurs de l’Etat ; le samedi suivant, le calife fit une apparition publique durant laquelle il portait lui-même des vêtements de couleur verte, puis il fit venir un vêtement noir qu’il offrit à Tâhir qui le mit aussitôt, puis un groupe de princes présents se virent offrir le même présent et suivirent l’exemple de Tâhir. Et c’est ainsi que les vêtements de couleur noire furent réintroduits dans la société abbasside (Al-Bidâya wa-l-Nihâya, 10/230). Par ailleurs, un autre historien évoqua le cas du célèbre juge d’Alep connu sous le nom d’Ibn Chadâd et qui exerça dans cette ville à la fin du Ve siècle de l’Hégire, ce dernier portait le vêtement typiquement bagdadien qui était noir alors qu’il vivait à l’Alep où ce n’était pas du tout la mode.
En ce qui concerne le vêtement arabe contemporain, nous pouvons affirmer qu’il incarne et maintient avec force les frontières politiques et géographiques imposées par les partitions qui ont découlé des Accords Sykes-Picot en 1916 ainsi que par les divers traités et accords qui suivirent. Par conséquent les diverses formes prises par le vêtement arabe devinrent un symbole fort mettant en évidence de manière bien plus claire que tout autre élément les divisions que connurent les 22 pays arabes, sachant que ces derniers furent créés et délimités afin de délibérément produire cette division entre les Arabes, éléments parmi lesquels on trouve les hymnes nationaux, les drapeaux, les frontières et autres partitions géostratégiques.
Le résultat est que chaque pays et même région du monde arabe possède son vêtement spécifique le distinguant des autres. Cette division vestimentaire peut sembler au premier abord très futile et n’être que la manifestation d’une diversité culturelle, voire folklorique, au sein du monde arabe, mais en réalité cela cache de réelles fractures entre les diverses parties de ce dernier, et d’ailleurs ces fractures sont parfois si profondes que certains pays arabes en arrivent à considérer leurs « frères » des autres pays comme des étrangers dont il faut se méfier comme de réels ennemis. Notons que le discours diplomatique arabe est désormais plein de menaces, de procès d’intention, de termes empoisonnant les relations ou encore de soupçons d’atteinte à la souveraineté politique des uns ou des autres ; tout cela ne fait donc que détruire un peu plus le corps arabe qui devrait être uni et dont chacune des parties devrait se réclamer d’une communauté une et indivisible partageant le même but et le même destin. Il est indéniable que la division profonde que connaît la Oumma a été voulue et provoquée, et ce, à tous les niveaux et entre ces multiples composantes qui n’ont alors de cesse de s’entre-déchirer et de s’autodétruire, ce qui facilite évidemment la domination du monde arabe par des forces étrangères hostiles.
Il est intéressant pour finir d’indiquer qu’à l’heure actuelle la mondialisation domine et cela implique qu’est imposé au monde entier un mode de vie standardisé touchant tous les aspects de l’existence des individus dans ses moindres détails. Cette influence, qu’il faut bien considérer comme globalement néfaste, s’est bien évidemment répandue comme une traînée de poudre dans les pays du tiers-monde et donc dans les pays arabes, dont la plupart ont un niveau de développement les mettant directement dans cette dernière catégorie. C’est ainsi que par voie de conséquence le vêtement arabe, subissant les assauts de cette sous-culture mondialisée, a presque totalement disparu du Châm, de Palestine ou encore d’Egypte, en fait on en trouve quasiment plus la trace que dans les séries télévisées mettant en scène des événements historiques. Toutefois, il existe encore certaines parties, très réduites, de la population portant encore avec dignité le vêtement arabe traditionnel, en fait il apparaît clair que ce sont les personnes plutôt pratiquantes et religieuses qui font de ce vêtement leur habit quotidien, de même qu’il est porté par des gens d’autres milieux lors des grandes occasions comme les fêtes religieuses ou les mariages.
Mahfûz wuld Khayrî