L’histoire islamique est pleine de ces périodes particulières durant lesquelles se produisent une chute et un relèvement, lui-même succédant à une autre chute puis à celle-ci à un autre relèvement et ainsi de suite, et cela ne concerne évidemment pas exclusivement que l’histoire d’al-Andalus. Déjà les Compagnons du Prophète () ont été en leur temps témoins de ce phénomène, c’est ainsi que tout de suite après la mort du Prophète () une chute brutale et une effondrement effrayant se produisirent, cela se manifesta notamment par un mouvement général d’apostasie (al-ridda) qui contamina toute la Péninsule arabique, il ne resta plus en somme sur toute la surface de ce grand territoire que quelques enclaves restées musulmanes et notamment La Mecque, Médine ainsi qu’un petit village du nom de Hidjr (qui se situait sur l’île du Bahreïn actuelle).
Toutefois, à cette chute terrible succédèrent un relèvement extraordinaire ainsi que d’innombrables conquêtes et victoires. Il faut noter que celui qui revivifia la Oumma et consolida ses bases n’est autre qu’Abû Bakr al-Siddîq (Radhia Allahou Anhou), pour ce faire il mit un coup fatal au mouvement d’apostasie, puis le monde commença à s’ouvrir devant les musulmans à l’époque de ‘Uthmân ibn ‘Affân (Radhia Allahou Anhou), mais hélas une zizanie et des dissensions se firent jour au sein de la Oumma, ce qui causa la mort brutale de ‘Uthmân (Radhia Allahou Anhou) qui fut un grand calife et un grand Compagnon du Prophète () ; et cette situation mouvementée se prolongea malheureusement durant le califat de ‘Alî ibn Abî Tâlib (Radhia Allahou Anhou).
Mais suite à cela la situation se rétablit lors de l’avènement de l’Etat omeyyade qui reprit avec force et paracheva le mouvement des conquêtes. Puis à cela succéda une autre période de décadence provoquée par les erreurs et excès de la dynastie omeyyade. Cela aboutit à l’établissement de la dynastie abbasside qui succéda donc à celle des Omeyyades, laquelle dynastie redonna aux musulmans leur grandeur et leur fierté ; cependant, comme à l’habitude, la séquence d’apogée des Abbassides fut suivie d’un affaiblissement puis d’un effondrement. En fait, tous les Etats musulmans qui se succédèrent durant la longue histoire du monde musulman connurent la même fin tragique, cela va donc des Omeyyades en passant par les Ayyoubides ou les Mamlouks jusqu’au califat des Ottomans, lequel réussit à conquérir une partie de l’est de l’Europe et était sans conteste en son temps l’une des plus grandes puissances du monde.
Au vu de tous ces exemples édifiants, nous pouvons une fois encore affirmer que c’est là un grand principe instauré par Allah, exalté soit-Il, cela ne doit pas décourager les musulmans, car il est manifeste qu’après chaque chute, ils arrivent à se relever, cela est aussi vrai que le fait qu’après chaque apogée ils connaissent une chute, et comme nous l’avons indiqué précédemment, absolument aucun humain ne peut être comparé à Allah, exalté soit-Il. Ainsi, le Prophète () a dit la chose suivante à sa fille Fâtima : « O Fâtima fille de Mohammed, demande-moi ce que tu veux de mes biens je te le donnerai, mais sache que je ne peux rien pour toi (contre le chatiment) d’Allah » (Authentique).
Par conséquent, si les musulmans sortent du droit chemin et s’ils se détournent de la voie tracée par leur Prophète (), alors la défaite se produira inéluctablement de même que l’effondrement sera aussi terrible que celui qui eut lieu pour al-Andalus ou semblable à toutes ces chutes que connurent les sociétés musulmanes à différentes époques.
La réalité du monde musulman contemporain :
Nous allons voir ici la réalité que vivent les musulmans aujourd’hui et le stade dans lequel ils se trouvent sur cette courbe des ascensions et chutes civilisationnelles. Ainsi, il est fort probable qu’un individu musulman normal se pose la question suivante : nous musulmans contemporains, où en sommes-nous par rapport à ce processus d’établissement, d’ascension, d’apogée, de chute et de relèvement des sociétés et civilisations ?
La réalité que tout le monde peut constater clairement est que la Oumma est aujourd’hui et depuis un moment dans une phase caractérisée par un effondrement terrible, un affaiblissement immense et une grande division des musulmans. Cet état de fait est le résultat direct de la chute du califat ottoman durant les années 20 du siècle dernier, c’est là une chose naturelle et l’ordre naturel de l’histoire islamique mais surtout, comme nous l’avons vu plus haut, l’un des grands principes instaurés par Allah, exalté soit-Il. Toutefois, il nous faut noter que cette dernière phase d’effondrement et de décadence se caractérise par deux éléments qui sont inédits dans l’histoire des périodes de chutes de la Oumma islamique, il s’agit d’une part de l’absence d’un califat, et d’autre part, de l’absence d’une application de la Charia.
Pour ce qu’il s’agit de l’absence d’un califat, nous pouvons dire effectivement que c’est la première fois dans l’histoire islamique que les musulmans se retrouvent sans un Etat unique les rassemblant sous sa bannière ; en fait, même dans les périodes de réelle décadence et d’effondrement vécues par la Oumma à travers son histoire, l’idée que le califat puisse disparaître ne traversait l’esprit d’aucun musulman, et ce, depuis l’avènement de la dynastie omeyyade au premier siècle de l’Hégire jusqu’à la chute du califat ottoman qui eut lieu au quatorzième siècle de l’Hégire. Ainsi, durant toute cette longue période qui dura quatorze siècles, avec certes des hauts et des bas, les affaires des musulmans furent gérées par l’Islam politique (religion et Etat).
Quant à l’absence de Charia, nous pouvons dire, à l’instar du califat, que jamais dans son histoire, et même dans ses périodes de grande décadence et d’effondrement, la Oumma ne connut de phases durant lesquelles la Loi d’Allah n’était pas appliquée. Et même s’il est vrai que parfois certains aspects de la Charia ont pu être négligés, jamais personne n’osa demander que celle-ci soit totalement délaissée au profit de l’instauration d’un système d’organisation humain qui aurait prétendument été plus souple et plus adéquat pour gérer la société.
L’absence de ces deux éléments fondamentaux rend évidemment extrêmement difficile toute tentative visant à réformer ou à relever la Oumma. Toutefois, malgré cette difficulté majeure, et comme nous l’avons montré plus haut, ce relèvement n’est pas une chose impossible, car cette notion d’impossibilité et d’impuissance contredit les grands principes divins selon lesquels l’Etat musulman existera jusqu’à la venue du Jugement dernier.
Ce qui annonce le relèvement de la Oumma :
Il existe des signes encourageants annonçant le relèvement de notre Oumma moribonde ; ainsi, même si depuis la chute du califat ottoman en 1924, la Oumma a été de catastrophes en catastrophes, et ce, dans la plupart de pays musulmans pour ne pas dire tous (après la chute du califat ottoman, tous les Etats arabes, à l’exception de l’Arabie, ont connu des régimes fondés sur des principes occidentaux), on a vu à partir des années soixante-dix des améliorations, puis ce fut la phase dite de la « Sahwa » (renaissance islamique) qui eut une influence aux quatre coins du monde musulman et dont on voit encore les effets aujourd’hui.
Cependant, et malgré ces faibles signes positifs, le problème de la Oumma est profond et structurel, si nous voulons nous relever, il est nécessaire que nous élevions notre niveau de compréhension du monde dans lequel nous vivons, que nous renouions avec la soif de savoirs hétéroclites qui fut la marque de la civilisation islamique quand elle était à son plus haut niveau et que nous nous remettions un peu en question en cessant d’agir et de penser comme si nous étions les maîtres du monde, nous sommes plutôt exactement dans la position inverse. En outre, nous ne pouvons plus faire les autruches en ne regardant pas la réalité et en adoptant une position nihiliste et fataliste qui peut se résumer ainsi : « A quoi bon faire quoi que ce soit dans ce bas-monde puisque ce qui nous intéresse c’est l’au-delà ». Et a contrario nous devons circonscrire nous-mêmes tous ces mouvements qui veulent imposer une vision déviante de l’Islam par la violence, cela n’est pas le bon chemin, pire, ces « idiots utiles » sont les meilleurs alliés des ennemis de notre religion, ils pensent travailler pour la Oumma, alors qu’en réalité ils travaillent à sa destruction, et même ils l’accélèrent. Ainsi, pour sortir de ces deux pièges : le fatalisme et la violence, il nous faut accomplir un travail d’éducation profond des masses musulmanes, nous devrions être les fers de lance de la connaissance et du savoir, et nous sommes hélas exactement l’inverse.