Le choix des juges en Islam avait pour critères des qualités qui permettaient la concrétisation de l’idée d’égalité et de justice comme l’érudition, la crainte d’Allah, l’équité ou encore toute autre qualité humaine noble.
C’est ainsi que ‘Umar ibn al-Khattâb (Radhia Allahou Anhou) décida que le juge devait posséder au moins trois qualités essentielles, c’est-à-dire que selon ses mots le bon juge « ne peut être soudoyé, il n’est pas faible et il n’est pas attiré par l’appât du gain ». Nous avons vu ‘Umar (Raddhia Allahou Anhou) donner des instructions importantes aux différents juges de son Etat, ces instructions sont considérées comme les fondements généraux sur lesquels s’appuyèrent par la suite la judicature dans la civilisation islamique, ils devinrent les outils principaux du jugement et de compréhension des cas divers.
Il est important de signaler que les califats omeyyades étaient attachés au fait de nommer comme juges ceux qui étaient savants, pieux et loyaux envers l’autorité judiciaire. C’est ainsi que ‘Umar ibn ‘Abd al-‘Azîz choisit à la tête de la judicature d’Egypte un certain Ibn Khadhâmir al-Sin’ânî, et ce, après s’être bien renseigné sur lui et s’être assuré de sa capacité à pouvoir supporter le poids de cette charge très lourde ; et à ce propos, Ibn Hadjar, évoquant la cause de la désignation d’Ibn Khadhâmir par ‘Umar ibn ‘Abd al-‘Azîz, nous dit : « Une délégation venue d’Egypte se rendit auprès de Sulaymân ibn ‘Abd al-Malik et dans cette dernière se trouvait Ibn Khadhâmir al-San’ânî, Sulaymân demanda aux membres de cette délégation une chose concernant les gens du Maghreb, ceux-ci lui répondirent, mais cependant Ibn Khadhâmir refusa de s’exprimer, lorsque la délégation sortit, ‘Umar ibn ‘Abd al-‘Azîz lui demanda : « Ô Abû Masûd, pourquoi n’as-tu pas parlé ? », il lui répondit : « Par Allah, j’ai eu peur de mentir ». Ainsi, quand ‘Umar devint calife, il écrivit à Ayyûb ibn Charâhbîl afin qu’Ibn Khadhâmir soit nommé juge.
Une bonne connaissance des prétendants à la judicature et une sélection pertinente de ces derniers sont essentielles au bon fonctionnement d’un Etat. Il est important de pouvoir faire le distinguo entre ceux qui conviennent à cette fonction et les autres ; ainsi, lorsque ‘Umar était ministre de Sulaymân ibn ‘Abd al-Malik, il était capable de reconnaître facilement les individus capables d’assumer cette responsabilité, et à titre d’exemple ‘Umar insista beaucoup afin qu’Ibn Khadhâmir soit nommé juge en Egypte, et celui-ci le fut donc en effet. En fait, ‘Umar fit confiance à son opinion vis-à-vis de cet homme, et il eut raison, car durant ses cinq ans à son poste de juge en Egypte, Ibn Khadhâmir fit un excellent travail, et c’est pourquoi Ibn Hadjar pour rendre honneur à ce dernier dit : « Il fut le premier non-Arabe à être nommé comme juge en Egypte, et depuis qu’il occupe cette fonction il n’a pas volé un dirham ou un dinar ».
Bien que l’idée de l’indépendance de l’institution judiciaire fut initiée par ‘Umar ibn al-Khattâb (Radhia Allahou Anhou), celle-ci devint plus évidente à l’époque des califes omeyyades, malgré cela les jurisconsultes et oulémas étaient alors encore nombreux à se tenir loin de cette fonction par crainte d’Allah, exalté soit-Il, et de juger en ne respectant pas, malgré eux, les préceptes de la religion. Ainsi, Wakî’ rappelle dans son Akhbâr al-Qadhâ que le gouverneur d’Egypte Yazîd ibn Hâtim (mort en 177 de l’Hégire) voulut nommer un juge suprême en Egypte, pour ce faire il consulta ses conseillers et ses proches, on lui proposa alors trois candidats possibles : Haywa ibn Churayh, Abû Khuzayma et Ibn ‘Abbâs al-Ghassânî. Abû Khuzayma était à ce moment-là à Alexandrie, il fut convoqué devant les conseillers, puis ce fut au tour des autres. Le premier des trois à être interrogé fut Haywa ibn Churayh, il refusa l’offre, alors il fut condamné à avoir la tête tranchée, en réaction à cette sentence Haywa sortit une clé qu’il avait sur lui et dit : « Voici la clé de ma maison, mon chez-moi me manque ». Lorsque les conseillers virent sa détermination, ils choisirent de le laisser, et c’est alors que Haywa leur dit : « Ne dévoilez pas aux autres candidats le motif de mon refus, sinon ils adopteront la même attitude que moi », suite à ces entrefaites, l’excuse de Haywa fut acceptée !
Il est remarquable que certains juges refusaient de prendre un salaire, ils pensaient que cela n’était pas une chose convenable et que cette fonction devait être exercée de manière désintéressée, parmi ces derniers on trouve Ibn Sammâk al-Hamdhânî, qui fut juge andalous, ses qualités et vertus furent évoquées par al-Nabâhî dans son Histoire des juges d’al-Andalus qui dit : « Il était tellement simple et humble qu’il ouvrait les canaux hydrauliques lui-même, de plus on pouvait le voir en train de couper son bois devant la porte de sa maison avec autour de lui des gens se disputant entre eux et lui posant des questions. Par ailleurs, il portait des vêtements de laine grossiers, et durant la durée de son mandat on ne le vit jamais dans la région monté sur un cheval et s’il devait sortir de chez lui pour se rendre à la campagne, alors il enfourchait un âne et il allait nu-pieds, il s’arrêtait pour donner de son argent aux nécessiteux, mais lui-même ne prenait pas de salaire pour son travail de juge ».
Les manières par lesquels les juges étaient choisis :
1- Par une élection :
Parfois la sélection d’un juge se faisait par une élection, cette méthode était une manière de respecter les administrés, en ce sens qu’on leur demandait à eux de désigner celui qu’ils considéraient être le plus à même de remplir au mieux cette fonction importante. Al-Kindî a rapporté le récit d’un Egyptien nommé al-Buwaytî qui aurait dit : « Le gouverneur d’Egypte, Ibn Tâhir a ordonné que les gens du Caire se réunissent, ce que firent les gens, j’étais moi-même parmi eux, nous nous trouvâmes donc devant Ibn Tâhir auprès de qui se trouvait ‘Abdallah ibn ‘Abd al-Hakam, Ibn Tâhir s’adressa aux gens en ces termes : « Je vous ai convié pour que vous vous choisissiez un juge ». Le premier à prendre la parole parmi les gens fut un certain Yahyâ ibn Bakîr, il dit : « Ô émir, nomme pour nous celui que tu souhaites, mais évite de choisir deux types d’homme : un étranger et un agriculteur ». Cet événement, qui eut lieu en 212 de l’Hégire, indique qu’à cette époque le peuple était parfaitement libre de choisir comme juge celui qu’il voyait le plus à même de remplir cette fonction.
2- Par une nomination :
Les califes nommaient les juges en se basant sur leur niveau de connaissances et de religiosité, ils ne se préoccupaient pas en revanche de leur âge, seul importait leur capacité à exercer correctement cette fonction. C’est ainsi que, selon al-Khatîb al-Baghdâdî, Yahyâ ibn Aktham fut nommé juge de Bassora alors qu’il n’avait que vingt ans (en 202 H), mais les gens de la ville le méprisèrent pour cette raison, une fois ils lui demandèrent son âge, il sut que c’était pour le dénigrer et il leur répondit donc : « Je suis plus âgé que ‘Attâb ibn Usayd (Radhia Allahou Anhou) qui fut nommé juge de La Mecque par le Prophète () le jour de la conquête de cette ville, je suis plus âgé que Mu’âdh ibn Djabal (Radhia Allahou Anhou) qui fut envoyé comme juge par le Prophète () au Yémen, je suis plus âgé que Ka’b ibn Thawr qui fut nommé juge à Bosra par le calife ‘Umar ibn al-Khattâb ». Il assena par sa réponse des arguments massue irréfutables.
En Andalousie les juges avaient pour formation juridique l’école malikite, c’est là la conséquence de l’enseignement des grands oulémas andalous comme Ziyâd ibn ‘Abd al-Rahmân et Yahyâ ibn Yahyâ qui étudièrent directement auprès de Mâlik ibn Anas, qu’ils aimaient et respectaient, et de l’appui que ces derniers reçurent de la part des califes omeyyades comme Hichâm ibn ‘Abd al-Rahmân.
Notons que le système judiciaire de l’époque mamelouke se distingua particulièrement par une innovation importante ; en effet, ce système, après avoir été longtemps basé uniquement sur l’école juridique chaféite, innova en s’appuyant sur les quatre écoles juridiques connues. A ce propos, al-Qalqachandî a traité des catégories de judicature en évoquant les juges de son époque : « Comme à Damas les instances judiciaires sont composées de quatre juges appartenant chacun à l’une des quatre grandes écoles juridiques ; toutefois, rappelons que les quatre écoles se développèrent en Egypte après s’être développées à Damas ».
Notons pour finir que le choix du juge des juges ou juge suprême ne se faisait qu’après un examen difficile, ce dernier permettait de déterminer la capacité du prétendant à ce poste à pouvoir assumer cette fonction. Il est étonnant de constater qu’en général les califes mettaient eux-mêmes à l’épreuve le juge suprême, et à ce propos al-Khachnî a rappelé dans son Juges de Cordoue la manière par laquelle fut désigné comme juge suprême Ahmad ibn Baqî : « Il fut directement désigné par le prince des croyants qui ensuite le mit à la tête de trois judicatures, le prince le testa de manière complète, il l’interrogea sur tout, ce fut là sa seule épreuve et le prince des croyants finit par le choisir ! Il le trouva sincère et bon conseiller, les premiers pas de Ahmad en tant que juge confirmèrent largement le choix du prince qui finit donc par le nommer juge suprême ».
Et il y aurait encore beaucoup à dire sur cette fonction essentielle qu’est celle de juge, mais nous espérons avoir donné là un aperçu instructif de la manière par laquelle il était choisi dans le monde islamique médiéval.