La civilisation islamique a connu le système des hôtels dès les débuts de l’Islam. Ainsi, le Noble Coran évoque le fait qu’il est licite de pénétrer dans les lieux publics – et les hôtels en font partie –, ce qui est une preuve du réalisme de l’Islam et de son aspect social, et donc à ce propos, Allah, exalté soit-Il, dit : « Nul grief contre vous à entrer dans des maisons inhabitées où se trouve un bien pour vous » (Coran 24/29). L’imam al-Tabârî a dit dans un commentaire de ce noble verset : « Ô vous les gens, vous ne commettez ni un péché ni un délit en entrant dans des maisons inhabitées sans en demander la permission préalable, puis les oulémas ont eu une divergence sur cette question, quelles sont ces maisons évoquées dans ce verset ? Certains d’entre eux ont dit : « Il s’agit des auberges et des maisons se trouvant sur le bord des routes dans lesquelles ne vivent pas des gens en particulier, mais ces dernières ont été bâties pour les voyageurs afin qu’ils y trouvent refuge et y entreposent leurs bagages » ».
Les auberges se sont multipliées le long des routes commerciales reliant les différentes villes musulmanes, la plupart de leurs pensionnaires étaient des commerçants ou des étudiants. A l’origine ces établissements offraient l’hospitalité, c’est ainsi que la nourriture et la boisson étaient offertes gratuitement aux pauvres, aux nécessiteux et aux voyageurs, puis le nom de « maisons d’hôtes » fut donné à ces auberges qui offraient gracieusement de la nourriture.
Ces auberges étaient de véritables refuges mis en place par l’Etat ou des donateurs généreux pour les voyageurs, elles protégeaient ces derniers de la chaleur estivale et du froid hivernal.
Sa’dân ibn Yazîd (savant du troisième siècle de l’Hégire) indiqua qu’il se refugia lors d’une nuit pluvieuse et orageuse dans l’une de ces auberges, il y constata que toutes les chambres étaient occupées du fait du froid très dur qu’il régnait cette nuit-là.
Ces auberges étaient organisées de manière à ce que les étudiants qui y trouvaient refuge puissent y travailler dans le calme. A ce propos Ibn ‘Asâkir a dit la chose suivante : « Abû ‘Amrû al-Saghîr a dit : « Nous sommes descendus dans certaines auberges de Damas près de la citadelle, puis nous avons prié la prière de ‘Asr ; puis, alors que nous nous apprêtions à rendre visite à Ahmad ibn ‘Amîr de grand matin, l’aubergiste vint en courant et nous demanda où était Abû ‘Alî al-Hâfiz, je lui répondis : « Il est là », et il m’informa que le cheikh était venu le visiter. Je me levai donc et je vis le cheikh sur une mule dans l’auberge, il descendit de la bête, puis il monta dans la chambre que nous occupions, il salua Abû ‘Alî qui l’accueillit avec cordialité et se montra heureux de sa visite. Abû ‘Alî commença donc à étudier avec le cheikh jusqu’au soir, puis ce dernier dit : « Ô Abû ‘Alî, as-tu rassemblé le hadith de ‘Abdallah ibn Dînâr ? », celui-ci lui répondit que oui, alors le cheikh lui dit de le lui donner, ce que Abû ‘Alî fit, le cheikh le saisit, se leva et s’en alla ».
La présence de ce type d’hôtels était d’un grand secours pour les étudiants qui voyageaient vers l’une des contrées de l’empire islamique. Al-Dhahabî a rappelé que le grand savant de l’Andalous, Baqî ibn Mukhlid, alla à Bagdad pour apprendre le Hadith auprès de l’imam Ahmad ibn Hanbal, lequel était en résidence surveillée suite à son élargissement de prison, il y avait été mis en conséquence de ses prises de position concernant la polémique sur la création du Coran ; ainsi, lorsqu’Ibn Mukhlid fut certain qu’il resterait longtemps dans la cité abbasside, il loua une chambre dans l’un des hôtels de la ville. Il allait voir tous les jours l’imam Ahmad sous l’apparence d’un homme pauvre, il apprenait de lui un ou deux hadiths, puis il rentrait à sa chambre d’hôtel, et ce, jusqu’au moment où Ahmad ibn Hanbal fut autorisé à donner ses leçons de manière publique.
Il faut savoir que de nombreux califes attachèrent de l’importance au fait de construire ces auberges et ces hôtels, et d’ailleurs ces établissements dépendaient de l’administration de l’Etat qui, à travers ces derniers, dépensait beaucoup d’argent pour aider les voyageurs, les indigents et les étudiants ; à ce propos, le calife al-Muntasir billah était connu pour son attachement particulier à la construction de ces hôtels, lesquels étaient un refuge pour les pauvres et les voyageurs. Parmi les grandes figures de l’Islam qui sont connues pour avoir bâti des hôtels accueillant les gens gratuitement, on trouve Nûr al-dîn Zankî ; à ce sujet, Abû Châma a rapporté dans son Kitâb al-Rawdatayn d’après Ibn al-Athîr que Nûr al-dîn « a fait construire des auberges le long des routes, les gens qui voyageaient se sentirent ainsi plus rassurés, leurs biens étaient en sécurité et en hiver ils dormaient à l’abri du vent et de la pluie ». Signalons en sus que certaines femmes, visant par ce moyen l’obtention de récompenses divines, attachèrent un grand intérêt à la construction des auberges et des hôtels, c’est ainsi que ‘Ismat al-dîn, fille de Mu’în al-dîn Anur et épouse de Saladin fit construire l’hôtel ‘Ismat al-dîn dans la ville de Damas, de même qu’une autre femme, évoquée par Ibn ‘Asâkir dans ses chroniques sans qu’il en rappelle le nom, fit bâtir l’hôtel Ibn al-‘Annâza à Damas également.
Certaines de ces auberges contenaient des pièces spéciales dans lesquelles étaient entreposées les choses laissées en dépôt, l’argent et autres biens divers, c’était alors l’équivalent de nos banques modernes, il y avait autant d’hommes que de femmes à travailler dans ces dépôts, il était interdit de donner les choses ou argent laissés en dépôt à quelqu’un d’autre que le propriétaire légal de ces choses ou de cet argent. Voici ce que dit Ibn al-Djawzî à propos de ce système « bancaire » en 571 de l’Hégire : « Un commerçant vendit de la marchandise pour mille dinars, il déposa cet argent dans le dépôt de l’auberge Anbâr (à Bagdad), puis il rentra chez lui où il n’y avait avec lui qu’un esclave noir qu’il avait acheté quelques jours plus tôt. L’esclave se leva dans la nuit et frappa le commerçant au cœur avec un couteau, il subtilisa la clé et partit à l’auberge Anbâr, il frappa à la porte de l’établissement, la femme aubergiste lui demanda : « Qui es-tu ? », l’homme répondit : « Je suis le serviteur d’untel, il m’a envoyé pour que je prenne pour lui une chose se trouvant à l’auberge, la femme lui dit alors : « Par Allah, je jure que je ne t’ouvrirai pas la porte jusqu’à la venue de ton maître. L’esclave rentra au domicile du commerçant afin de voler ce qui s’y trouvait, mais il se trouve qu’un gardien chargé de surveiller les routes entendit le cri du commerçant au moment où il fut poignardé, c’est ainsi que le gardien mit la main sur l’esclave, son maître mourut de ses blessures deux jours plus tard, mais avant son décès il avait stipulé que son esclave devait être exécuté, ce dernier fut donc crucifié en place publique après la mort de son maître ».
Notons que certaines villes d’Andalousie étaient connues pour contenir un grand nombre d’hôtels prospères, al-Hamîrî évoqua d’ailleurs dans son livre Sifat djazîra al-Andalus le fait que la ville d’Almeria, en Andalousie, contenait 970 hôtels. Cette profusion d’hôtels est la preuve qu’un nombre immense de visiteurs venaient dans cette ville ancienne.
Ces hôtels se propagèrent dans toute l’Andalousie à partir du règne des Omeyyades ; toutefois, certains d’entre eux ne respectaient pas la morale publique et donc les émirs mettaient tout en œuvre pour les détruire avant que ne se propage à partir de ces lieux un désordre moral dans la société. Ainsi, en 206 de l’Hégire, « al-Hakam ibn Hichâm ordonna la démolition d’un hôtel qui se trouvait dans un faubourg, ceux qui s’y rendaient étaient des pervers et des gens malfaisants, il fut donc détruit ». Il ne fait aucun doute que la débauche qui régnait dans certains de ces hôtels à l’époque est exactement la même qui règne aujourd’hui dans certains hôtels ; cependant, la grande différence entre les deux est qu’à l’époque les émirs combattaient avec détermination et force ces méfaits, les peines les plus dures étaient appliquées contre les tenanciers de ces lieux qui étaient détruits manu militari, alors qu’aujourd’hui l’attitude des dirigeants à l’égard de ce type d’hôtels est totalement à l’opposée !
Nous savons en outre que certains sultans faisaient construire des hôtels en grand nombre, lesquels étaient des legs pieux servant aux pauvres, aux nécessiteux et aux voyageurs. Ainsi, le sultan marinide du Maghreb Abû Ya’qûb Yûsuf al-Marînî donna son aval en 706 de l’Hégire afin que soit restauré l’hôtel d’al-Chammâ’în se trouvant dans la ville de Fès après qu’il fut détruit, il en fit un legs pieux pour tous les étrangers qui se rendaient à la mosquée de cette ville.
Les auberges et les hôtels se sont beaucoup répandus à l’époque de la dynastie des Mamlouks, il est à noter que cette dernière a apporté du nouveau dans ce domaine ; en effet, les Mamlouks ont créé des hôtels spécialement dédiés à l’accueil des petites communautés de commerçants et voyageurs occidentaux présentes en Egypte et dans le Châm. A ce propos, al-Maqrîzî a rappelé que les Chypriotes qui attaquèrent la ville d’Alexandrie en l’an 783 de l’Hégire brûlèrent de nombreuses maisons et boutiques ainsi que de nombreux hôtels, sur ces faits voici ce que dit l’historien : « Les maudits ont brûlés les hôtels des Catalans, des Génois, des Milanais, etc. ». Les hôtels rappelés par al-Maqrîzî étaient consacrés à l’accueil des commerçants européens et notamment italiens, comme ceux qui étaient issus de la ville de Gènes ; cela met en évidence l’intérêt de la civilisation islamique durant le Moyen Age pour des non-musulmans et en l’occurrence ici des commerçants d’Europe.
Les Mamelouks allèrent même jusqu’à créer des hôtels spécialisés dans l’accueil des représentants d’une seule et même profession, à titre d’exemple il existait un hôtel pour les commerçants d’huile venant du Châm, ce dernier se trouvait dans la ville du Caire et s’appelait l’hôtel Tarntâwî.
Après cette rapide présentation de l’un des plus importants et anciens systèmes islamiques, nous ressentons la valeur d’une chose qui s’est enracinée dans notre inconscient, il s’agit de l’humanité de cette civilisation qui repose sur un soutènement qui ne se disloquera jamais, car c’est le soutènement d’une morale qui puise à une source divine qui ne se tarira jamais.