Nous diviserons cette présente étude concernant le djihad des Mamlouks contre les Mongols et les Croisés en deux grandes parties dont la première aura pour sujet « La guerre contre les Mongols »| et la seconde « La fin de la présence croisée dans le Châm », et chacune de ces deux parties sera divisée en deux sous-parties, ce qui donnera en tout une série de quatre articles.
I-La guerre contre les Mongols
Les origines des Mongols :
Les Mongols ou Tatars étaient des tribus nomades vivant en Asie centrale, historiquement leur existence n’est attestée qu’à partir du VIIIe siècle de l’ère chrétienne, certains chercheurs pensent qu’ils sont l’une des branches de la race turque. Il est à noter que de par leur condition de nomades ils n’étaient pas très civilisés, car en effet la civilisation est le fruit des peuples sédentarisés, disons que leurs principales qualités étaient l’endurance et la dureté, de plus ils étaient d’excellents et farouches guerriers. C’est au Xe siècle qu’est apparu pour la première fois le terme de « Mongols », lequel désignait spécifiquement l’une des nombreuses tribus des Tatars, puis l’emploi de ce mot s’est généralisé à tous les Tatars et est devenu une sorte de synonyme de ce dernier terme, on peut même dire qu’à partir de Gengis Khan (mort en 1227) c’est le terme « Mongols » qui est principalement employé pour désigner ces tribus féroces venues des confins des steppes asiatiques.
Les Tatars ou Mongols ont commencé à être une force ayant une grande influence sur le cours de l’histoire à partir de la fin du XIIe siècle, c’est-à-dire au moment où leur chef et guide était un certain Gensis Khan fils de Yesügei, chef du clan de la tribu des Bordjigin. Jusqu’à cette époque, les Mongols étaient encore des tribus nomades atomisées dans toute la steppe et vivant sous la tente, ils tiraient principalement leurs subsistances de leurs troupeaux et de la chasse qu’ils pratiquaient dans les vastes vallées de l’Asie centrale, il se nourrissaient de la plupart des bêtes vivant dans leur environnement et même le chien faisait partie de leur régime alimentaire ; il faut savoir que chez les Mongols il était fréquent que les enfants ne connaissent pas leur père. Par ailleurs, du point de vue spirituel, il semblerait qu’ils pratiquaient des religions assez superficielles, ils déifiaient les étoiles mais ils reconnaissaient l’existence d’un Dieu supérieur ; cependant, ils n’accomplissaient aucun culte ni aucune adoration, ils croyaient en la force des bêtes prédatrices (tigre, ours, etc.) auxquelles d’ailleurs ils faisaient des offrandes ; en somme, les Mongols paraissaient être un peuple sans religion réelle, c’est pourquoi ces croyances peu profondes ne se manifestèrent pas avec force lors de leurs confrontations avec les grandes religions qu’étaient déjà le christianisme et l’Islam.
Ainsi, c’est vers la fin du XIIe siècle que Temüdjin fils de Yesügei prit la tête des tribus mongoles, celui-ci se fera appelé Gengis Khan, ce qui signifie « le roi puissant et brave », il procéda à l’unification des Mongols sous son égide et il leur imposa de se conformer à une loi qu’il instaura lui-même : le Yasaq, ce dernier devait servir à les organiser politiquement et socialement, il prévoyait de lourds châtiments à l’encontre de ceux qui contrevenaient à ses lois, mais ce Yasaq imposait également aux Mongols de respecter les autres religions et croyances.
Il est important de rappeler que l’éveil des forces mongoles a coïncidé avec : l’explosion de l’empire islamique en une multitudes de micro-états et de principautés, et ce, notamment après la partition de l’Etat seldjoukide, l’affaiblissement du califat abbasside dû notamment aux luttes internes à Bagdad entre les caciques du régime, une lutte aggravée entre les Sunnites et les Chiites, un grave effondrement économique dans le monde musulman, des expéditions croisées en Orient occupant déjà beaucoup les musulmans de cette région ou encore les luttes de pouvoir et les guerres opposant les héritiers de Saladin ; par conséquent, étant donné la situation chaotique du monde musulman, il fut facile aux Mongols d’envahir les parties orientales de ce dernier. Ainsi, les hordes mongoles s’emparèrent du Khwarezm (Ouzbékistan actuel), de la Perse et de l’Azerbaïdjan, puis ils se dirigèrent vers l’Iraq dont ils prirent la capitale Bagdad en 1258, ils mirent à mort le calife abbasside al-Musta’sim, de même qu’ils massacrèrent des dizaines de milliers de personnes et ils détruisirent les bibliothèques de la ville ainsi que toutes les manifestations de la grande culture qui y régnait jusqu’alors (monuments, écoles, mosquées, etc.). L’homme qui dirigeait ces hordes destructrices était l’un des petits-fils de Gengis Khan, Hulagu fils de Tului.
L’invasion mongole dans le Châm :
Lors des conflits que provoquèrent cette invasion, les musulmans furent notablement affaiblis à cause de la cinquième colonne disséminée dans leurs rangs qui collaborait avec l’ennemi mongol et de l’aide que demandèrent certains princes musulmans à ce dernier afin de combattre d’autres coreligionnaires. Parmi ces princes félons on trouve al-Nâsir Salâh al-dîn Yûsuf al-Thânî ibn al-‘Azîz Muhammad, lequel, qui était à la tête d’Alep, écrivit au chef mongol Hulagu pour demander à ce dernier qu’il l’aide dans son combat contre les Mamlouks d’Egypte, car selon lui, ces derniers auraient volé le pouvoir aux Ayyoubides ; c’est ainsi que Hulagu fut mis au courant des divergences profondes qui déchiraient les musulmans, ce qui attisa naturellement son envie de conquérir le Châm ; néanmoins, il craignit que le sultan mamlouk Qutuz fasse une demande de trêve au prince al-Nâsir, Hulagu adressa donc une missive à ce dernier dans laquelle il le menaça et lui promit qu’il subirait le même sort que le calife de Bagdad s’il ne se soumettait pas à lui. Le prince al-Nâsir n’eut donc d’autre choix que de demander de l’aide au sultan égyptien Qutuz ; par ailleurs, les chefs politiques et militaires d’Egypte se mirent d’accord pour faire allégeance à ce dernier en 1259. Ainsi, Qutuz répondit favorablement à la demande d’aide d’al-Nâsir et lui promit d’engager à ses côtés le djihad contre les Mongols ; Qutuz voulut en outre imposer un impôt destiné à soutenir l’effort de guerre, il demanda donc conseil aux jurisconsultes à ce sujet et c’est ainsi que le cheikh ‘Izz al-dîn ‘Abd al-Salâm, parmi d’autres oulémas, lui autorisa à lever cet impôt spécial avec cependant la condition que le sultan, son entourage et ses soldats montrent l’exemple en donnant tout leur argent et ce qu’ils possèdent de précieux pour la cause, ils ne devraient en somme garder uniquement que leur épée et leur monture, le sultan se conforma donc à la condition imposée par les oulémas.
Ainsi, Hulagu arriva dans le Châm, il s’attaqua à la ville de Mâradîn, il en fit le siège et ses habitants le soutinrent durant près de deux années jusqu’à ce qu’ils n’aient plus de vivres et que des épidémies se répandent dans la cité, alors ils ne purent plus résister et rendirent donc les armes. La chute de cette cité inaugura une longue série de redditions de villes musulmanes dans la Djéziré et dans le Châm, et ce, avec ou sans résistance. Les Mongols s’emparèrent notamment de la ville d’Alep, ils en firent le sac durant cinq jours et ils jetèrent en esclavage les femmes et les enfants ; puis, les hordes mongoles firent des pactes de non-agression avec Damas, Baalbek et Hama. La rumeur se répandit parmi les gens que les Mongols étaient un peuple dur et invincible et qu’ils perpétraient systématiquement des massacres et des destructions, c’est ainsi que l’effroi et la peur se logea dans le cœur des populations, lesquelles en général choisissaient la reddition sans combat et celles qui voulaient leur résister voyaient leur moral extrêmement diminué. Il faut souligner que certains Mamlouks, avec à leur tête le fameux Baybars, qui étaient en indélicatesse avec le sultan, se réfugièrent dans la forteresse de Kérak qui se trouve dans le sud du Châm, ils étaient mécontents de voir ce que subissaient leurs coreligionnaires et les princes ayyoubides ne pas s’engager dans le djihad contre l’envahisseur mongol, mais ils acceptèrent finalement de se soumettre au sultan et rentrèrent donc en Egypte où ce dernier les accueillit à bras ouverts et leur fit tous les honneurs.
Hélas, le prince al-Nâsir se rendit à Katabqa qui était le bras droit de Hulagu, au début le Mongol le traita bien lui et sa famille, de même qu’il lui promit de lui rendre sa souveraineté et son pouvoir dès que les Mongols se seront emparés de l’Egypte ; cependant, après la défaite mongole à ‘Ayn Djâlût, Katabqa changea d’attitude à son égard et finit par le tuer.
Après quelque temps, la grande majorité du Châm était sous la domination des Mongols, par conséquent, ils se concentrèrent sur l’objectif suivant qui était de s’emparer de l’Egypte. Ainsi, Hulagu adressa une lettre à Qutuz ainsi qu’à tous les princes d’Egypte, en voici un court passage : « Nous sommes l’armée de Dieu sur Sa terre, Il nous a créés de Sa colère, Il nous a rendus maîtres de ceux contre qui Il est en colère, nous nous sommes faits respectés dans tous les pays, nous sommes très déterminés, méditez l’exemple de ceux que nous avons déjà soumis et soumettez-vous à nous à votre tour, vous avez entendu que nous avons conquis de nombreux pays, que nous avons tué la plupart des individus s’y trouvant, si vous fuyez nous vous poursuivrons, vous n’échapperez pas à la lame de nos épées, vous êtes condamnés à vous soumettre à notre grandeur, vous allez aujourd’hui recevoir le châtiment de l’humiliation à cause de l’orgueil injustifié dont vous avez fait montre sur cette terre et des perversions que vous avez commises, bientôt ceux qui auront été injustes verront le sort qui leur est réservé ».
Face à ce danger imminent de nombreux princes mamlouks se soumirent aux Mongols et d’autres choisirent de fuir vers le Maghreb ; toutefois, Qutuz et Baybars ne furent aucunement impressionnés par la missive et restèrent donc déterminés à entreprendre le djihad et à mourir, ils décidèrent par conséquent de tuer les messagers envoyés par Hulagu, car ils furent considérés par eux comme des criminels de guerre, hormis l’un d’entre eux qui rentra au service de Qutuz en tant qu’esclave.
Suite à cet événement il se produisit des évolutions dans le camp des Mongols ; en effet, Hulagu fut contraint de retourner à Qaraqurm, la capitale de son pays, car son frère Mangu Khan Khaqan venait d’y décéder et c’est lui qu’on appelait pour le remplacer, Hulagu dut donc laisser son bras droit Katabqa à la tête de son armée.
(À suivre).