Il est fort probable que l’histoire et la géographie sont les deux sciences que toutes les civilisations humaines ont développées en premier, ce qui est très révélateur de l’intérêt que l’être humain porte pour la distance spatiale et temporelle dans sa vie ainsi que pour le sens de sa présence sur cette terre. Il est important de noter que la civilisation islamique a joué un rôle primordial dans le processus qui a fait évoluer ces deux sciences jusqu’à ce que nous connaissons aujourd’hui, et ce, du point de vue de la méthodologie, des matières étudiées ou des moyens d’étude.
La notion de temps est une matière ancrée dans les concepts islamiques ayant trait à la foi dans l’inconnaissable (al-ghayb) en ce sens que la vie du genre humain est délimitée entre les deux points de repère temporels que sont, d’une part, la création d’Adam () et, d’autre part, le Jour du Jugement. De même que d’après ces concepts, l’espace est délimité à la terre qui est considérée comme le lieu de la mise à l’épreuve de l’homme ainsi que celui de sa vie temporaire. Il nous faut remarquer que la dualité de l’interaction du temps et de l’espace s’est enracinée depuis les premiers temps de la civilisation islamique. Ainsi, après avoir évolué intellectuellement, les premiers musulmans ont été amenés à tracer l’histoire de leur civilisation à partir du jour de l’Hégire ou Emigration.
De même que ce jour de référence a été lié aux coordonnées géographiques qui ont défini le parcours de cette Emigration dont les points de départ et d’arrivée sont respectivement La Mecque et Médine, de même que ce jour a été lié à la direction vers les deux qiblas pour l’accomplissement de la prière, d’abord vers Jérusalem (al-Quds) puis vers la Mosquée sacrée.
L’histoire est devenue une matière servant à l’exploration des premiers écrits ; ainsi, le temps a été considéré comme une ligne sur laquelle il est possible de placer les chronologies des faits et événements historiques. Quant à la géographie, elle a adopté le rôle de suiveur, en ce sens qu’elle s’est préoccupée des lieux où arrivaient ces divers événements. Et c’est ainsi que les premiers ouvrages d’histoire ont proposé une catégorisation temporelle des événements en instaurant des unités de temps comme les jours, les mois, les années puis les siècles, lesquelles unités sont comme des contenants qui organisent les faits historiques.
Malgré l’expansion scientifique, très rapidement, une différenciation entre l’histoire et la géographie dans l’éducation est apparue plus que nécessaire, de même que la dispute pour la première place qui oppose ces deux matières a été écartée. Si l’histoire a tiré du déroulement du temps une ligne ou un axe organisant les événements ; en revanche, très souvent le même lieu a été le théâtre de nombreux faits historiques, plus que cela, ce lieu unique a pu être le facteur principal de la naissance de ces faits, comme c’est le cas par exemple de la Ka’ba, de Bayt al-Maqdis ou de la Mosquée prophétique qui sont des lieux dans lesquels survinrent des événements historiques importants qui en retour ont formé et façonné ces différents lieux. C’est ainsi que les caractéristiques des lieux ont commencé à apparaître à travers des ouvrages compilant tous les lieux connus comme Mu’djam al-buldân (L’encyclopédie des pays), Futûh al-buldân (Les conquêtes des pays), Ahsan al-taqâsîm fî ma’rifat al-aqâlîm (Les meilleures des divisions dans la connaissance des pays) ou encore Al-masâlik wal-mamâlik (Les routes et les royaumes). Il est possible que ce qui a dérangé Ibn Khaldûn, en sus de la méthodologie énumérative suivie par les historiens, fut le fait que ces derniers naviguaient entre les deux sciences (l’histoire et la géographie), ce qui le poussa à mettre au point la théorie des civilisations qui créa un pont entre les deux sciences. Et même si c’est la matière historique qui domine dans sa grande œuvre, dont le titre est très révélateur de cette tendance : Le livre des enseignements et traité d’histoire ancienne et moderne sur la geste des Arabes, des Persans, des Berbères et des souverains de leur temps, Ibn Khaldûn insiste dans l’introduction de cet ouvrage sur le rôle décisif qu’a joué la géographie dans la naissance des civilisations, en fait la géographie (le terrain) détermine la forme que va prendre telle ou telle civilisation, la manière dont les humains se regroupent ou encore le caractère de ces derniers. Selon Ibn Khaldûn ce processus est une règle universelle qui régit le devenir de l’histoire.
Et c’est ainsi que les ouvrages plus tardifs suivent un courant d’idée clair selon lequel l’un des deux domaines (l’histoire et la géographie) est le précurseur et l’autre le suiveur et vice et versa. L’intérêt des historiens pour l’observation, l’enregistrement et la consignation des événements historiques n’a pas cessé, lesquels continuent de porter aux lieux une attention secondaire ; et parallèlement les géographes et autres voyageurs ont continué à faire une description si détaillée des lieux que le lecteur a l’impression de les voir devant lui, se contentant de ne consigner que quelques données historiques sur ce qui s’est passé sur ces lieux.
A partir de là on comprend comment s’est formée la science qui s’occupent des villes et des habitations humaines. Il est tout à fait naturel que les villes aient une place spéciale dans chacune des deux sciences, l’histoire et la géographie, lesquelles considèrent les villes comme le théâtre des événements, le lieu de la naissance des civilisations mais également celui de leur fin. C’est pour ces raisons qu’on a donné aux villes une place spéciale dans les écrits consacrés à l’histoire, au point même que ce savoir devienne un nouveau domaine d’étude que l’on peut appeler ‘ilm al-khutat. Le lieu a commencé à être le sujet central des ouvrages prenant la place de la matière historique qui s’est retrouvée du coup au second plan. Dans certains ouvrages traitant des villes le facteur temporel est absent ou s’est amenuisé laissant la place au facteur spatial et géographique. Toutefois, en général, même si l’intérêt pour la géographie est grandissant, les facteurs temporel et spatial restent inséparables et interdépendants dans les ouvrages traitant des villes, comme cela est clair dans les livres d’al-Maqrîzî, d’al-Khatîb al-Baghdâdî et dans ceux de bien d’autres auteurs.
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L’histoire islamique