Quelques instants de méditation à la Maison Antique
10/10/2010| IslamWeb
J'ai rendu visite avant sa mort, au Cheikh Al-Hadj 'Othmane Dabou, qu'Allah lui fasse miséricorde, de la république de Gambie, située au fin fond de l'Afrique de l’Ouest, et qui avait dépassé les quatre-vingts ans, dans sa modeste maison située dans son petit village à proximité de la capitale Banjul. Il me parla de son long voyage, il y a de cela cinquante ans, vers la Maison Antique et cela à pied avec quatre de ses compagnons, de Banjul à La Mecque, traversant le continent africain d'ouest en est. Ils ne se déplacèrent sur des montures que durant de courtes périodes intermittentes jusqu'à ce qu'ils eussent atteint la Mer Rouge; là, ils prirent le bateau pour se rendre au port de Jedda.
Un voyage plein de merveilles et de situations étranges, qui, consigné par écrit, aurait donné l'un des livres de voyages les plus passionnants et les plus éducatifs. Le voyage dura plus de deux ans, ils faisaient halte parfois dans certaines villes afin de gagner un peu d'argent, de se reposer et de payer les frais du voyage, puis ils continuaient leur chemin.
Je lui ai demandé :
- « Le pèlerinage à la Maison Sacrée n'a-t-il pas été prescrit à celui qui en a les moyens et vous, à ce moment-là, vous n'en aviez pas les moyens ?! »
- « Oui », répondit-il. « Mais, un jour, nous nous sommes rappelés l'histoire d'Ibrahim, Khalil Allah, () lorsqu'il partit avec sa famille vers une vallée aride, près de La Maison Sacrée d'Allah. L'un de nous dit alors : "Nous sommes jeunes, forts et en bonne santé maintenant, alors quelle est notre excuse aux yeux d'Allah, Exalté soit-Il, si nous n'allons pas visiter Sa Maison Sacrée. D'autant plus que nous pensons que les jours qui passent ne nous rendront que plus faibles, alors pourquoi remettre cela à plus tard ?!” Il nous a alors incités et motivés pour ce voyage, en implorant l'aide d'Allah, Exalté soit-Il. »
Ils sortirent tous les cinq de leur maison n'emportant avec eux que l'équivalent d'une semaine de nourriture. La motivation de tout cela était d'exécuter l'ordre qu'Allah, Exalté soit-Il, leur avait donné de faire le pèlerinage à Sa Maison Antique. Seul Allah, Exalté soit-Il, sait ce qu'ils endurèrent sur leur chemin comme difficultés, gêne et détresse. Combien de nuits passèrent-ils affamés, sur le point de périr ?! Combien de nuits furent-ils pourchassés par les animaux sauvages et empêchés de jouir du sommeil ?! Combien de nuits furent-ils assiégés par la peur, les bandits de grand chemin guettant les voyageurs dans chaque vallée ?!
J’ai pleuré peut-être une nuit et lorsque vint la suivante, j’ai pleuré en regrettant la première.
Le Cheikh Othmane dit :
« Une nuit lors du voyage, je fus mordu et je souffris d’une forte fièvre ainsi que d'une terrible douleur, m'obligeant à m'allonger et m'empêchant de dormir. Je sentis alors l'odeur de la mort couler dans mes veines : j'observais les étoiles comme si je surveillais chacune d'elles dans le ciel. Mes compagnons allaient travailler et je restais seul à l'ombre d'un arbre jusqu'à ce qu'ils reviennent en fin de journée. Le diable me chuchotait dans ma poitrine : “N'était-il pas mieux que tu restes dans ton pays ?! Pourquoi t'imposes-tu ce que tu ne peux supporter ?! Le Hadj n'est-il pas obligatoire que pour celui qui en a les moyens ?!” Je sentis une lourdeur et je faillis faiblir. Lorsque mes compagnons revinrent, l'un deux regarda mon visage et me demanda comment j'allais. Je me détournai alors de lui et essuyai les larmes qui m'avaient envahie.Comme s'il avait deviné ce qui m'arrivait ! Il me dit alors : “Lève-toi, fais tes ablutions et prie et tu ne trouveras que du bien si Allah, Exalté soit-Il, le veut.”
“Et cherchez secours dans l'endurance et la Salaah : certes, la Salah est une lourde obligation, sauf pour les humbles, qui ont la certitude de rencontrer leur Seigneur (après leur résurrection) et retourner à Lui seul.” (Coran 2/45-46).
Je fus soulagé et Allah, Exalté soit-Il, fit disparaître mon chagrin, louanges à Lui. »
L’ambition d'atteindre les deux Saintes Mosquées s'emparait d'eux en toutes circonstances et soulageait les douleurs du voyage, les difficultés de la route et ses dangers. Trois d'entre eux moururent en chemin, le dernier mourut en pleine mer. Le plus touchant dans son histoire est qu'il confia à ses deux compagnons sa dernière volonté en leur disant : « Si vous atteignez la Mosquée Sacrée, informez Allah, Exalté soit-Il, de ce que j'ai enduré pour Le rencontrer et demandez-Lui qu'Il nous rassemble, moi et ma mère, au Paradis en compagnie du Prophète . »
Le Cheikh Othmane dit :
« Lorsque notre troisième compagnon mourut, je ressentis une très grande anxiété et une profonde tristesse et cela fut la chose la plus éprouvante dans mon voyage, car il était le plus patient et le plus fort d'entre nous. Je craignis alors de mourir avant d'avoir eu l'honneur d'arriver à la Mosquée Sacrée. Je comptais les jours et les heures comme sur des charbons ardents.
Lorsque nous arrivâmes à Jedda, je tombai gravement malade. Je craignis de mourir avant d'arriver à La Mecque et je demandai à mon compagnon de faire de mes vêtements d’Ihram (habits que porte le pèlerin) mon linceul si je venais à mourir. Je lui demandai qu'il me rapproche le plus possible de La Mecque en espérant qu'Allah, Exalté soit-Il, multiplierait ma récompense et me compterait parmi les vertueux.
Nous restâmes à Jedda quelques jours, puis reprîmes notre chemin vers La Mecque. Ma respiration devint haletante, la joie rayonnait sur mon visage et le désir me secouait et m'étreignait jusqu'à ce que nous arrivâmes à La Mosquée Sacrée. »
le Cheikh se tut alors un moment… Il commença à essuyer ses larmes et jura par Allah, Exalté soit-Il, qu'il n'avait jamais ressenti dans sa vie un plaisir tel que celui qui submergea son cœur lorsqu'il vit l'honorable Kaâba !
Puis, il dit : « Lorsque je vis la Kaâba, je me prosternai pour Allah, Exalté soit-Il, en guise de remerciement et commençai à pleurer comme un enfant, pris par une crainte terrible. Quelle plus honorable maison et quel lieu plus grandiose que celui-là !
Puis, je me rappelai mes compagnons qui n'avaient pu arriver jusqu'à la Mosquée Sacrée et je louai Allah, Exalté soit-Il, pour Son bienfait et Sa grâce envers moi. Ensuite, je Lui demandai d'inscrire les pas qu’ils avaient faits et de ne pas les priver de la récompense et de nous rassembler avec eux dans un séjour de vérité, auprès d'un Souverain Omnipotent. »
Je sortis de la maison du Cheikh en répétant la parole d'Allah, Exalté soit-Il, qui dit (sens du verset) : « Et concourez au pardon de votre Seigneur, et à un Jardin (paradis) large comme les cieux et la terre, préparé pour les pieux. » (Coran 3/133)
Un empressement sérieux vers les actes d'obéissance, un empressement qui surmonte la paresse ou l’atermoiement, un empressement qui atténue les douleurs et les chagrins, un empressement qui balaie toutes les difficultés et les obstacles… un empressement avec une détermination sincère et une ferme résolution prenant racine dans un cœur attaché à l'amour d'Allah, Exalté soit-Il, et la conformité à Son ordre.
Je sortis en répétant la parole d'Allah, Exalté soit-Il, qui dit : « Et fais aux gens une annonce pour le Hajj. Ils viendront vers toi, à pied, et aussi sur toute monture, venant de tout chemin éloigné. » (Coran 22/27)
Ensuite, je réfléchis à la situation de nombreux musulmans de cette époque pour qui les conditions légales du pèlerinage à La Maison Sacrée d'Allah, Exalté soit-Il, sont réunies et qui malgré cela reportent le Hadj et ne s'empressent pas de l'accomplir.
Ces gens ne se rappellent-ils pas la parole du Prophète, Salla Allahou 'Alaihi wa Sallam, qui a dit : « Que celui qui désire accomplir le Hadj s’empresse de le faire, car il peut tomber malade ou être exposé à la pauvreté ou perdre sa monture. »[Ahmad, Ibn Madja (Al-Albani : Hassan)]
Ahmad Ibn 'Abderrahmane As-Souyaan