Des fatwas par des plumes féminines II
Les femmes savantes ont renoncé à composer des ouvrages
Malgré leur activité scientifique digne d’intérêt à travers les âges, les livres de jurisprudence ont fait abstraction des avis de toutes ces femmes savantes si ce n’est ceux des mères des croyants, les épouses du Prophète, , et plus particulièrement les avis de Aisha. Ils ont également passé sous silence les écoles juridiques auxquelles elles s’affiliaient. Cela est dû, à notre avis, à quatre facteurs.
Le premier : Les juristes se réfèrent à la notoriété et la diffusion des avis de leurs auteurs pour les citer. C’est pour cela que dans les livres de jurisprudence qui traitent des divergences entre les savants, ils n’abordent que ‘ les plus célèbres savants des contrées’ pour reprendre l’expression de l’un d’entre eux.
Le deuxième : La plupart des femmes savantes ont évolué en marge d’un père ou d’un mari qui était également savant de renommée. Leurs noms et leurs rangs étouffaient donc la science par laquelle elle se distinguaient ces femmes.
Le troisième : La plupart des femmes savantes n’ont pas composé d’ouvrages ou que rarement. Or, les livres à eux seuls suffisent pour permettre aux avis de leurs auteurs de subsister.
Le quatrième : Dans la culture de la société arabe, la femme est considérée comme une intimité qui se doit d’être dissimulée au regard. Certains étudiants considèrent que les arabes ont vite retrouvé les usages en cours d’avant l’islam pour ce qui est de la femme et de la société. C’est pourquoi, comme nous l’avons vu, L’imam Al-Muzani ne citait pas explicitement le nom de sa sœur. C’est un homme de la tribu Muzina Al-Mudriya.
Certains chercheurs, après d’âpres efforts, ne sont parvenus qu’à recenser 36 ouvrages seulement entre le 2è et le 12 siècle de l’hégire. La plupart de ces livres ne sont pas en notre possession aujourd’hui, seuls leurs titres ont été mentionné dans les ouvrages des biographes dans quelques digressions de l’auteur. Ce chiffre insignifiant reflète le refus de ces femmes savantes à composer des ouvrages pour que leur savoir soit préservé. Or, un tel renoncement fit que les biographes, et particulièrement ceux mentionnant les juristes en fonction des époques, ont négligé la mention de ces femmes.
Le chercheur Muhammad Khayr Ramadan Youssef s’est étonné, après s’être plongé dans les livres des biographies des savants et des juristes, que la mention des femmes savantes et le récit de leurs faits soient à ce point négligées. Dans le livre Al-Jawâhir Al-Mudî’a Fî Tarâjum Al-Hanafiyya qui comprend 2115 biographies, il n’a pas trouvé plus de cinq biographies de femmes. Aucune dans les livres de biographies des malikites. Dans son livre Tabaqât Al-Shâfi’iyya Al-Kubra, Al-Subkî (771 H.) n’en a pas mentionné non plus malgré les 10 volumes de l’ouvrage. Seul Al-Isnawi a mentionné la sœur de Al-Muzani dont on ne connait même pas le prénom. Le livre Tabaqât Al-Hanâbila de Abu Ya’la ne comprend pas non plus la moindre référence à une savante de l’école hanbalite. En contrepartie, il a cité les femmes qui ont questionné l’imam Ahmad ibn Hanbal (241 H.) sous le chapitre ‘Dhikr al-Nissa Al-Madhkûrât Bi Al-Su’âl Li Imâmina Ahmad’.
On remarque cette tendance à négliger ce qui se rapporte à l’héritage scientifique des femmes à travers plusieurs cas en Andalousie.
Le premier est celui de la mère de Abu Al-Walîd Al-Bâjî (474H). C’était une juriste dont il n’ait fait aucune mention de la part des biographes si ce n’est son lien avec son fils pour lequel elle a rectifié sa date de naissance, comme le mentionne Ibn ‘Asâkir dans son Tarikh Dimashq.
Le deuxième concerne 20 femmes célèbres d’Andalousie. Al-Maqarri Al-Tlamsânî (1041 H.) dans son livre Nafh Al-Tîb, la négligence dont il fait preuve les concernant apparaît à notre grand regret dans toute sa clarté, à quelques rares exceptions. La plupart de celles qu’il mentionne ne le sont qu’à travers un simple nom qui s’apparente plus à un surnom avec une affiliation à une ville d’Andalousie. Il élude complétement le reste des informations, sans mentionner son nom complet avec les trois noms de sa filiation comme cela est d’usage, ni sa date de naissance, où a-t-elle été éduquée, auprès de qui elle a appris les sciences religieuses et quand elle est décédée.
Plus étrange encore, cette histoire que rapporte Al-Maqarri au conditionnel à la fin de la biographie d’une célèbre savante d’Andalousie. Il dit : ‘ On rapporte que le cadi de la ville de Loja était marié à une femme qui avait surpassée tous les savants en matière de connaissance des règles de jurisprudence et des faits contemporains … Un jour au cours d’une séance au tribunal, il devait juger une nouvelle affaire. Il se leva et alla la consulter et elle lui dit de quelle façon il devait juger l’affaire !!’
Le troisième se manifeste dans les livres très particuliers qui sont très connus au Maghreb et qui réunissent chacun les fatwas de chaque savant dans un seul volume. C’est le cas du livre Al-Mi’yar Al-Mu’arrab Wa Al-Jâmi’ Al-Mughrib ‘An Fatâwa Ahl Ifriqiyya Wa Al-Andalus Wa Al-Maghrib de Abu Al-Abbâs Al-Wanshirissî (914 H). Ces 12 volumes n’ont pas mentionné la moindre fatwa d’une femme juriste. Et ainsi en est-il des autres encyclopédies de Fatwas qui ont été compilé jusqu’à notre époque !!