Des fatwas par des plumes féminines … les femmes émettent des fatwas, débattent avec les savants et forment les célébrités de la communauté
Des femmes qui donnent des fatwas à travers les siècles
En passant au sujet du fiqh et de l’émission de fatwas plus précisément, on se rendra compte qu’il n’y a pas une contrée de l’islam ni une époque sans noter la présence de femmes ayant émis des fatwas. Au cours du troisième siècle de l’hégire, la ville Kairouan comptait deux femmes savantes dans le fiqh comme le dit l’historien de la culture tunisienne Hasan Husni Abd Al-Wahhâb Al-Samâdihî (1968 J.C.). La première est Asma bint Asad ibn Al-Furât (250 H.) qui apprit la religion de son père, lequel était un savant, un imam et un grand cadi. Elle participait aux débats et aux questions durant les séances qu’il tenait. Elle apprit la jurisprudence de l’école hanifite dont le père était expert bien qu’il était aussi connu pour connaitre la jurisprudence selon l’école malikite. La deuxième est Khadija, la fille de l’imam Sahnûn (270 H.) qui est considéré comme le deuxième fondateur de l’école malikite et celui qui l’a diffusée au Maghreb islamique. Le cadi ‘Iyâd, auteur d’un ouvrage sur les biographies des savants malikites intitulé Tartîb Al-Madârik, la décrit comme étant : ‘ parmi les meilleures personnes.’
A la même époque, pas loin de la Tunisie, vivait en Egypte une savante qui était la sœur de Isma’îl ibn Yahya Al-Muzanî (204 H.). Elle le concurrençait et débattait avec lui au sujet de questions religieuses. Une anecdote à ce sujet est qu’il ne mentionnait jamais son nom lorsqu’il rapportait un savoir de sa sœur. Elle était donc connue sous le nom de ‘ La sœur de Muzani. ‘ Dans son livre Husn Al-Muhâdara, Suyûtî nous informe qu’elle assistait au cours de l’imam Shafi’i. Dans son livre Al-‘Azîz Sharh Al-Wajîz, le savant de l’école Shafi’ite Abu Al-Qâsim Al-Shâfi’i cite la phrase suivante : ‘ Rapporté par Al-Muzani dans son livre Al-Mukhtasar, d’après une personne en qui il a confiance, d’après Sh’afi’i.’ Il explique : ‘ Certains savants ont expliqué que c’est sa sœur qui lui a rapporté cela de Shafi’i … mais qu’il ne souhaitait pas dire son nom.’
A l’image de son frère qui ne mentionnait pas son nom, les livres de biographies ont également négligé de mentionner les faits qui se rapportent à sa personne et la date de son décès. Si ce n’est ce que rapporte Suyûti en disant : ‘ Les savants Ibn Sabki et Al-Isnawi l’ont mentionnée dans leurs ouvrages relatifs aux biographies des savants.’ Aussi, il semble que c’est elle qui soit la mère de l’imam Abu Ja’far Al-Tahâwî Al-Azdî (321 H.) puisque Al-Muzani est son oncle maternel et qu’on ne lui connait pas d’autre sœur.
En Andalousie, l’historien ibn ‘Umayra Al-Dabî (599 H.) dans son livre Bughyat Al-Multamis, cite Fatima bint Yahya ibn Yousouf Al-Mughâmi (319 H.). Il la décrit comme étant ‘ une femme savante juriste et scrupuleuse, elle habita à Cordoue et y décéda … on n’a jamais vu autant d’élèves auprès d’une femme que chez elle.’ En Iraq, Ibn Al-Jawzî rapporte dans son livre Al-Muntadham, la biographie d’une femme nommée Umm ‘Issa bint Ibrahim Al-Harbi (328 H.). Il dit d’elle : ‘ C’était une femme savante, pleine de mérite, elle émettait des fatwas en jurisprudence.’ Quant à Dhahabi dans son livre Al-‘Ibar, il cite Amat Al-Wâhid, la fille du cadi Al-Husayn Al-Muhâmilî (377 H.). Il dit : ‘ Elle se distinguait par sa connaissance de l’école shafi’ite, elle émettait des fatwas avec Abu Ali ibn Abi Horayra’ qui était le cheikh des shafi’ites (345 H.).
Dans la région de Khurâsân en extrême Orient, Les livres de biographies font mention de Umm Al-Fadl, Aisha bint Ahmad Al-Kumsâ’î Al-Marwaziyya (529 H.). Abu Sa’d Al-Sam’ânî (562 H.) dans son livre Al-Tahbîr Fî Al-Mu’jam Al-Kabîr la décrit ainsi : ‘ Une femme savante, une juriste… elle apprit les hadiths de sa grand-mère ‘Aynî bint Zakariyya Al-Makkî Al-Hilâlî.’ Au cours du même siècle, on peut lire la vie de ‘ la femme savante … la pieuse, Shahda bint Ahmad’ surnommée Al-Ibarî (574 H.). Elle était : ‘ savante dans plusieurs disciplines … elle acquit une certaine notoriété dans toutes les contrées mais davantage en Iraq. Elle acquit des connaissances dans tous les domaines du savoir religieux et surtout en jurisprudence … elle s’asseyait derrière un rideau et dispensait son cours aux élèves et nombreux sont ceux qui ont appris auprès d’elle.’
Parmi les femmes les plus célèbres qui étaient savantes et donnaient des fatwas, une de celles qui ont laissé leur empreinte dans l’école hanafite : Fatima bint ‘Alâ’ Al-Dîn Al-Samarqandî. Son père est mort en 540 H., il était l’auteur du célèbre Tuhfat Al-Fuqaha. C’était l’épouse de l’imam ‘Alâ Al-Dîn Al-Kasânî qui est mort en 587 H. mais elle décéda avant lui. Son mari fut l’auteur du livre Badâ’i’ Al-Sanâ’i’. Elle apprit la religion auprès de son père et mémorisa son livre Tuhfat Al-Fuqaha … Elle transmettait les enseignements de l’école hanafite de belle façon. Il arrivait à son mari de se méprendre lorsqu’il donnait une fatwa et elle le reprenait en lui indiquant la bonne réponse et en lui précisant où il avait fait erreur et il se rangeait à son avis … elle donnait des fatwas … au début ses fatwas ne sortaient pas du cadre de celles qu’elle donnait habituellement et de celles de son père mais une fois mariée à Al-Kâsânî, l’auteur du Badâ’i’ Al-Sanâ’i’, elle donnait des fatwas qui correspondaient à celles qu’ils donnaient tous les trois.’
Des surnoms emblématiques
Au septième siècle, Fatima bint Al-Imam Al-Sayyid Al-Rifâ’î Al-Kabîr (607 H.) était une ‘ savante qui comprenait bien la religion d’Allah’, et aussi la savante au mérite’ Zaynab bint Abu Al-Qâsim connue sous le nom de Umm Al-Mu’ayyad … elle connut un certain nombre de savants émérites desquels elle rapporta des hadiths et fut autorisée à transmettre leur savoir … parmi ceux qui lui donnèrent cette autorisation … Al-Zamkhsharî (539 H.), l’auteur du livre Al-Kashshâf. Et aussi le grand historien le cadi Ibn Khallikân (681 H.), selon ce que rapporte la femme de lettre du Liban Al-‘Isâmiya Zaynab Fawâz Al-‘Âmilî (1332 H.) dans son livre Al-Durr Al-Manthûr Fî Tabaqât Rabbât Al-Khudûr.
Le huitième siècle connut beaucoup de savants du hadith, du fiqh qui avaient un savoir encyclopédique. D’ailleurs, l’encyclopédie écrite par Ibn Hajar dans laquelle il établit la biographie des illustres personnalités de ce siècle nous réjouit. Son livre s’intitule Al-Durar Al-Kâmina Fî A’yân Al-Mi’a Al-Thâmina. On y trouve la biographie de nombreuses femmes savantes en hadith ou jurisprudence. Aussi, ce siècle vu l’attribution de surnoms à ces théologiennes dont la connotation est cocasse puisqu’ils étaient introduits par le terme ‘Sitt’ qui signifie la meilleure ou la maitresse de telle discipline. On entendit donc à titre d’exemples, les suivants : Sitt Al-‘Ulama, Sitt Al-Fuqaha, Sitt Al-Quda, Sitt Al-Kataba, Sitt Al-Wuzara, Sitt Al-Mulûk.
Parmi celles à qui on attribua ce surnom : Sitt Al-‘Ulama bint Shaykha Ribât Darb Al-Mahrânî (712 H.) ; Sitt Al-Fuqaha Amat Al-Rahman bint Ibrahim Al-Sâlihiyya Al-Hanbaliyya (726 H.) ; Sitt Al-Fuqaha bint Al-Khatib Sharaf Al-Dîn Al-‘Abbassî (765 H.) qui a, elle et son frère, rapporté des hadiths avec le grand savant Abu Al-Hajjâj Al-Mizzî (742 H.) notamment des parties de Amâlî Al-Jawharî ; également sa sœur Sitt Al-Quda bint Al-Khatib. Dhahabi mentionne deux femmes ayant un tel surnom : Sitt Al-Wazara bint Omar ibn Al-Munji (716 H.) en disant d’elle qu’elle est la femme qui connait le plus de hadith à son époque ; et Sitt Al-Mulûk Fatima bint Ali ibn Abi Al-Badr (710 H.).
Certains chercheurs ont évalué à 270 le nombre de femmes savantes qui ont vécu plus ou moins proche de La Mecque ou l’ont visité durant le neuvième siècle. Une chercheuse indique 1080 femmes mentionnées dans l’ouvrage de Sakhawi Al-Daw Al-Lâmi’ Li Ahl Al-Qarn Al-‘Âchir. La plupart étant des savantes en hadith ou en fiqh. Ce qui montre bien que les efforts de la gent féminine en matière de fiqh et de fatwa nécessitent d’être revus et réévalués.
Au dixième siècle de l’hégire, La shaykha, la savante qui met son savoir en pratique, Umm Abd Al-Wahhâb bint Al-Bâ’ûnî Al-Dimashqiyya (922 H.) est une des personnalités mise en lumière. Najm Al-Dîn Al-Ghazî (1061 H.) dans son livre Al-Kawâkib Al-Sâ’ira Bi’A’yân Al-Mi’a Al-‘Âchira dit qu’elle est ‘ sans pareil à son époque … on l’amena au Caire et elle apprit une grande quantité de savoirs, elle fut autorisée à donner des fatwas et à enseigner.’
Au onzième siècle, on trouve la savante du hadith Quraysh bint Abd Al-Qâdir Al-Tabari (1107 H.) qui était ‘ savante en fiqh … issu d’une famille de savants … on lui lisait les livres de hadith chez elle.’ Comme le rapporte Al-Ziriklî dans son Al-‘A’lâm. De son côté, le savant marocain Abd Al-Hayy Al-Kittânî (1382 H.) a cité cette femme dans son ouvrage Fihris Al-Fahâris Wa Al-Athbât en disant qu’elle est ‘ parmi les sept personnes qui ont transmis les hadiths du Hijâz et par le biais desquels la science du hadith fut renforcé durant le 11è siècle et le suivant.’
Des femmes qui en exhortent d’autres du haut des minbars
Les historiens du huitième siècle se sont longuement attardés sur la vie de Um Zaynab Bint Abbas Al-Baghdâdiyya (714 H.) dont le nom a été donné dès sa fondation en 648 de l’hégire au lieu accueillant les femmes dans le besoin, au Caire, et qui fut donc appelé Ribât Al-Baghdâdiyya. Dans son Siyar, Dhahabi l’a décrit comme étant ‘ La Cheikha, la mufti, la juriste, la savante … la hanbalite.’ Et dans son autre livre Al-‘Ibar : ‘La meilleure femme de son époque.’ Quant à l’historien Salâh Al-Dîn Al-Safadî (764 H.) dans son livre A’yân Al-‘Asr dit qu’elle ‘ montait sur le minbar et exhortait les femmes … de nombreuses femmes de Damas ont pris le chemin de la vertu grâce à elle … Par la suite, au début des années 700, elle s’installa en Egypte et de nombreuses femmes ont pu profiter de son savoir. Elle acquit une certaine notoriété.’
Les fonctions de ce lieu-dit Ribât qui portait son nom étaient les suivantes : ‘ les femmes y étaient accueillies quand elles avaient été divorcées ou rejetées jusqu’à ce qu’elles se remarient ou retournent vivre avec leurs parents et ce pour les protéger. Dans ce lieu, on veillait sur elles et à ce que les adorations soient bien accomplies.’ Au sujet de son lien avec la jurisprudence, Al-Safadi dit de cette femme versée dans la jurisprudence hanbalite : ‘ Elle apprit la jurisprudence auprès de la famille des Maqdisî (qui de génération en génération héritait du fiqh hanbalite) et notamment le cheikh Shams Al-Dîn (Al-Maqdisi Abu Mohammed le cheikh des hanbalites décédé en 682 H.) mais aussi d’autres que lui … elle connaissait la jurisprudence et ses zones d’ombre les plus subtiles et ses questions les plus complexes.’
Son savoir de la théologie et de la jurisprudence fut tel qu’un homme de la taille d’Ibn Taymiyya (728 H.) ‘ admirait son savoir et son intelligence ‘ comme nous le dit son élève Dhahabi qui lui aussi hérita de son maitre une admiration pour cette dame savante au point où il dit dans son livre Al-‘Ibar : ‘ Sa prédication était acceptée plus que la normale et elle avait un impact sur les âmes.’ Dans son Siyar il dit : ‘ Je lui ai déjà rendu visite et son attitude et son recueillement m’ont plu.’ Quant à Ibn Hajar il dit dans son livre Al-Durar : ‘ Rares sont celles qui ont mis au monde une femme comme elle !!’
Avant cette savante de Baghdad, il y avait à Damas une autre savante qui avait gravi les marches d’un minbar. C’est la raison pour laquelle on la surnomma Al-‘Âlima. Il s’agit de la mère du juriste shafi’ite Shihâb Al-Dîn Al-Ansârî le Cadi de la ville de Khalil plus connu sous le nom de Ibn Al-‘Âlima comme le rapporte Qutb Al-Dîn Al-Yûnînî (726 H.) : ‘ Lorsque décéda Le roi Al-‘Adil Al-Kabîr en 615 H. sa cour chercha une femme qui pourrait prononcer les éloges funèbres. On la mentionna en disant que c’était une femme vertueuse. On vient donc la chercher mais elle refusa sous prétexte qu’elle n’avait aucune expérience de ce genre. Mais ils la forcèrent à accepter et elle fut obligé de venir contrainte. Elle connaissait de nombreux sermons du cheikh Nabâtî (Al-Fâriqî décédé en 374 H.) et rapporte les faits ainsi : ‘ Sur la route j’invoquais Allah afin qu’Il ne m’humilie pas durant ce rassemblement et je tremblais de peur.
Elle poursuit son récit : A mon arrivée, je montais sur le minbar et les gens étaient ravis de m’y voir. J’ai lu quelques versets du Coran et le sermon de la mort …, le genre de sermon en rimes, et il s’est avéré que l’assistance se mit à pleurer comme cela n’arrive pas dans d’autres circonstances.’ Elle fut connue sous le nom d’Al-‘Âlima. Dans son Tarikh Al-Islam, Dhahabi mentionne que d’autres savants furent connus sous le nom d’Ibn Al-‘Âlima. Il s’agit d’Abu Al-Fadl ibn Al-‘Âlima également connu sous le nom d’Al-Iskâf (530 H.). Et aussi, Ahmad ibn As’ad Abu Al-Abbâs qui était aussi connu sous ce surnom puisque sa mère était Duhn Al-Lûz, une femme savante de Damas.’