Voici donc la suite de notre premier article qui traitait de l’invasion mongole dans le Châm, il sera question ici de la bataille historique de ‘Ayn Djâlût ainsi que des relations entre les Mongols et les Mamelouks en Perse.
La bataille de ‘Ayn Djâlût :
Alors que Qutuz procédait à la mobilisation de son armée avant de lancer l’expédition militaire, il se rendit compte que certains princes étaient bien décidés à ne plus partir pour faire le djihad contre les Mongols, il leur dit donc la chose suivante : « Ô vous princes des musulmans, vous profitez grassement de l’argent public et vous détestez les combattants, quoi qu’il en soit moi je pars au combat, que ceux qui veulent m’accompagner pour mener le djihad me rejoignent maintenant, quant aux autres qu’ils rentrent chez eux, mais qu’ils sachent qu’Allah les voient et qu’ils commettent une grave erreur ». Puis après lui ceux qui étaient pressés de faire le djihad s’exprimèrent, alors les frileux eurent honte et ils décidèrent comme les autres qu’ils n’avaient devant eux que la victoire ou la mort.
C’est ainsi que les musulmans s’avancèrent vers la guerre avec un moral très élevé, leur avant-garde arriva à Gaza avec à sa tête le prince Baybars al-Bunduqdârî, ils y trouvèrent une garnison mongole dirigée par un certain Bidra, ils l’attaquèrent sans tarder afin d’éviter de faire face à des renforts, ce fut-là la première défaite des Mongols, ces derniers furent donc chassés de Gaza et leurs flottes furent repoussées jusqu’au fleuve al-Âsî. Cette victoire releva considérablement le moral des musulmans et permit d’effacer dans l’esprit de ces derniers la légende d’une armée mongole invincible.
De son côté Qutuz arriva sur les côtes du Châm dominées par les Croisés ; ces derniers, à l’instar des musulmans, craignaient beaucoup les Mongols qui avaient déjà réussi à conquérir certains pays d’Europe, ils pensaient naturellement que leur contrée d’origine n’échapperaient pas à leur appétit insatiable de conquête et que cela arriverait sans qu’ils ne puissent faire quoi que ce soit pour la défendre étant donné qu’ils en étaient fort éloignés. Par conséquent, les Croisés voulurent se rapprocher de Qutuz, ce dernier leur fit promettre qu’ils resteraient neutres, c’est-à-dire qu’ils ne se battraient ni aux côtés des musulmans ni contre eux, puis il les menaça de graves représailles si d’aventure ils choisissaient de s’allier aux Mongols contre lui. Les Croisés acceptèrent cette proposition de Qutuz d’autant plus que les effectifs de leurs armées s’étaient trouvés largement diminués suite à la bataille de Mansoura, ils attendaient donc des renforts d’Europe, et leurs princes étaient très divisés, en outre ils avaient pris très au sérieux les menaces de Qutuz ; toutefois, ils espéraient en même temps, par un calcul stratégique fort logique, que leurs deux ennemis, les Mongols et les musulmans, viendraient rapidement à en découdre et que par conséquent ils s’affaibliraient mutuellement, ce qui servirait grandement leurs intérêts objectifs. Quoi qu’il en soit, les Croisés respectèrent leur promesse vis-à-vis de Qutuz et ils lui permirent même de traverser les territoires qui étaient sous leur domination.
La grande rencontre historique entre les hordes mongols et les armées musulmanes se déroula à ‘Ayn Djâlût, ce nom désigne un petit village se trouvant entre les deux villes palestiniennes de Baysân et Nâblus, la bataille eut lieu en septembre de l’année 1260 et c’est donc Qutuz qui en sortit victorieux. Ainsi, Qutuz envoya une petite fraction de ses forces avec à leur tête Baybars contre l’ennemi tandis que lui-même et le gros de l’armée se cachaient dans les alentours de ‘Ayn Djâlût ; Katabqa et son armée arrivèrent sur le lieu où allait se tenir la bataille, le chef mongol était « comme une mer de flammes nourries par la haine et la colère » comme l’ont bien décrit certains chroniqueurs, il voulait se venger de l’humiliation subie par les siens à Gaza. Baybars continua de provoquer l’ennemi par d’audacieuses escarmouches afin de lui faire croire que l’armée musulmane ne comptait que de faibles effectifs, les musulmans résistèrent efficacement aux Mongols et concrétisèrent même quelques petites victoires contre leur avant-garde, et ce, jusqu’à l’intervention des forces principales, alors à partir de ce moment-là les deux parties s’affrontèrent dans un corps à corps des plus violents. Au début de l’affrontement l’aile gauche de l’armée musulmane dut reculer, mais le sultan put la soutenir grâce à ses forces qui se trouvaient à l’arrière, lors de ce mouvement, le sultan fit montre d’un rare courage, il mit son casque sur sa tête puis il se mit à crier « vive l’Islam ! », lequel cri eut pour effet de redonner du courage aux combattants musulmans ; il est à noter qu’avant le début des hostilités Baybars avait pris le soin de préparer une embuscade, c’est ainsi que lors de l’affrontement ce dernier donna l’illusion aux Mongols que ses rangs avaient éclaté en donnant l’ordre à une partie de ses hommes de fuir le champ de bataille vers l’endroit du piège, naturellement les Mongols poursuivirent les « fuyards » jusqu’à ce que les hommes de l’embuscade leur tombent dessus en venant de trois côtés. Cette manœuvre fut décisive, car elle affaiblit considérablement les Mongols qui finirent par céder sous les coups de boutoirs musulmans, leur défaite fut donc totale et même leur chef Katabqa fut tué. Puis Baybars poursuivit les flottes mongoles jusqu’à l’Euphrate.
Cette grande victoire donnèrent confiance à tous les musulmans du Châm qui se décidèrent donc à attaquer sans pitié les garnisons mongoles installées dans le pays, ils réussirent alors, par cette action concertée, à chasser l’ennemi ; ainsi, la ville de Damas et les autres régions du Châm furent libérées après sept mois d’occupation mongole et, par conséquent, l’unité entre le Châm et l’Egypte redevint une réalité et se fit sous l’égide de Qutuz. La bataille de ‘Ayn Djâlût fut donc l’une des batailles les plus décisives de l’histoire ainsi qu’une immense victoire dont peuvent être fiers encore aujourd’hui l’Islam et les musulmans.
Les relations entre les Mongols et les Mamlouks en Perse :
Après la lourde défaite que subirent les Mongols à ‘Ayn Djâlût, ces derniers, pour se venger, menèrent plusieurs raids dans le Châm et dans la Djéziré comme par exemple contre les villes de Homs, de Hama ou de Mossoul ; lors de ces expéditions punitives les Mongols causèrent beaucoup de destructions et firent de nombreux massacres, cependant, les gens du Châm surent leur faire front avec courage et détermination. En revanche, les Mongols, avec à leur tête Hulagu Khan, maintinrent leur domination sur la Perse, et c’est de ce pays qu’ils continuèrent à menacer le Châm, ils convoitaient notamment les citadelles et forteresses qui se trouvaient sur les rives de l’Euphrate comme la citadelle d’al-Bîra qu’ils réussirent à investir en 1265. Ce dernier événement poussa Baybars en personne à intervenir afin de combattre les Mongols dans le Châm, lorsqu’il arriva à Damas ceux-ci se dépêchèrent de fuir et de retourner en Perse sans livrer aucun combat ; ainsi, Baybars ordonna de fortifier la citadelle d’al-Bîra, que les Mongols avaient abandonnée, de lui ajouter des moyens de défense et de l’approvisionner en vivres, et ce, afin de résister en cas d’attaque jusqu’à ce que les secours arrivent.
Peu de temps après ces événements le chef mongol Hulagu Khan mourut et c’est son fils Abaqa Khan qui lui succéda à la tête de la Perse. Ce dernier était chrétien et adhérait plus exactement au nestorianisme, c’était là la religion de sa mère qui n’était autre que la fille de l’empereur byzantin Michel VIII Paléologue, laquelle s’était unie avec Hulagu. De son côté Baybars fit une demande de paix et de trêve aux Mongols ; cependant, le chef mamlouk n’avait pas oublié ce que ces derniers firent contre l’Islam, les musulmans et le calife abbasside, par conséquent il refusa, lors de l’accord, de leur tendre la main. Soulignons que les lettres d’Abqa adressées à Baybars étaient composées d’une prose mêlant sollicitation et intimidation, de même que le nouveau chef mongol y dénigrait les Mamlouks en rappelant le fait qu’ils étaient à l’origine de simples esclaves qu’on achetait et qu’on vendait ; en réponse à cette attaque pour le moins vile, Baybars déclara : « Abqa n’a quant à lui que son épée, ce qui nous est demandé à nous Mamlouks c’est de venger les musulmans, et moi je serai à ses trousses jusqu’à ce que je lui reprenne tous les territoires musulmans dont il s’est emparé ».
Alors qu’Abqa poursuivait la politique de son père consistant à agresser les territoires du Châm et à s’allier avec les Croisés dans les zones côtières afin de lutter contre un ennemi commun, les musulmans, Baybars de son côté se dépêcha d’envoyer des forces en nombre suffisant dans le but de défendre ces zones. C’est ainsi que Baybars infligea plusieurs défaites aux Mongols et parallèlement il fit la paix avec les Croisés afin de briser l’alliance que ces derniers avaient conclue avec les envahisseurs asiatiques.
Puis de bonnes relations s’instaurèrent entre les Mamlouks et les Mongols, lesquelles relations se poursuivirent durant plusieurs années. A titre d’exemple Mangu Temür, chef mongol et successeur de Baraka Khan, et al-Nâsir Muhammad ibn Qalâwûn s’échangèrent des missives amicales et courtoises et s’envoyèrent mutuellement des ambassades. Ces relations mamlouko-mongoles se renforcèrent encore à l’époque du règne du chef mongol Yazbek Khan dont on dit qu’il avait donné en mariage l’une des princesses mongoles issues de la descendance de Gengis Khan au sultan al-Nâsir Muhammad en 1320, cette dernière serait arrivée dans le Châm par la mer au milieu d’une fête fastueuse qui dura plusieurs jours, puis le sultan consomma le mariage.
(à suivre).