Certes, le fiqh des priorités est la norme qui régit toutes les œuvres profanes et religieuses, financières et physiques, matérielles et morales. Il permet de distinguer les actions à traiter en premier, les actions à retarder selon des critères religieux corrects auxquels conduisent la lumière de la Révélation et celle de la raison. Allah, le Très-Haut, dit (sens du verset) : «Lumière sur lumière» (Coran 24/35)
Parmi les œuvres religieuses et les fondements islamiques qui exigent le recours au fiqh des priorités : la distribution de la Zakât et des aumônes à ses vrais ayants-droit sans exagération ni négligence. En effet, l'état des pauvres diffère : l'on trouve parmi eux celui qui est capable de gagner sa vie, celui qui est incapable de le faire, l'employé, le chômeur, celui qui est en bonne santé, le malade, le bien portant, l'infirme, l'orphelin et celui qui n'est pas orphelin.
Ensuite, tous ces gens ont eux-mêmes des besoins variables : certains sont pauvres, d'autres très pauvres, les uns sont nécessiteux, d'autres sont d'une plus grande indigence, les uns vivent dans le besoin, d'autres éprouvent un besoin plus urgent, certains manquent des choses essentielles, d'autres ne manquent que de ce qui est complémentaire, les besoins de certains sont fondamentaux et ceux des autres accessoires.
Pour que les associations caritatives assument leurs responsabilités et s'acquittent de leur mission d'une manière parfaite qui assure le progrès de la société et le développement de la communauté, elles doivent être parfaitement au courant du fiqh des priorités qui leur permet de mettre chaque chose à sa place sans négligence ni exagération.
Les priorités dans les œuvres de charité :
Premièrement : priorité d'employer les chômeurs capables de gagner leur vie
Certes, de nombreux bénéficiaires des comités de Zakât et des associations de charité sont capables de gagner leur vie. Si ceux-ci sont bien orientés vers un travail convenable et qu'ils exercent effectivement ces métiers, ce sera un bien pour ces travailleurs dans le bas monde et dans l'au-delà ainsi qu'un bien et une bénédiction pour la communauté islamique.
Celui qui examine la Sunna prophétique, verra que lorsqu’un homme bien portant demanda l'aumône au Prophète () le Prophète ne lui versa pas d'aumône et l'orienta vers un travail convenable lui apportant des bienfaits meilleurs et plus durables que la mendicité. D'après Anas, qu'Allah soit satisfait de lui :
« Un jour, un homme des Ansars demanda au Prophète () une aumône. Le Prophète () l’interrogea :
- N'as-tu rien chez toi ?
- Si, un tissu qui nous sert en partie pour nous habiller et en partie pour couvrir le sol et nous asseoir, ainsi qu'un récipient dans lequel nous buvons de l’eau!», répondit l'homme.
- Apporte-les-moi, dit le Prophète ()
L’homme les lui apporta et le Prophète () les prit dans sa main et dit : Qui veut acheter ces objets ? Quelqu’un proposa un dirham. Le Prophète () répéta à deux ou trois reprises :
- Qui renchérit?
- Je les achète pour deux dirhams, dit un autre. Le Prophète lui remit les objets et prit les deux dirhams qu’il donna à l’Ansari. Ensuite, il lui dit :
'Avec un dirham tu achèteras à manger pour ta famille et avec le dirham qui reste, tu achèteras une pioche et tu me l’apporteras '.
L’homme lui apporta la pioche et le Prophète () y attacha un manche en bois et lui dit : 'Va couper du bois, vends-le et reviens me voir dans deux semaines. L’homme alla donc couper du bois et le vendit. Ayant gagné dix dirhams, il acheta avec une partie de ceux-ci un vêtement et de la nourriture. Le Prophète () lui dit alors :
«Cela est mieux que la mendicité qui te vaudra une tache noire sur le visage le jour de la Résurrection. La mendicité n’est permise que pour trois genres de personnes : la personne très pauvre, l’homme qui a beaucoup de dettes et celui qui a du mal à payer le prix du sang à qui de droit » (al-Tirmidhî)
D'ailleurs, le placement des chômeurs capables de gagner leur vie exige à notre époque une campagne intensive par le biais des mosquées, des écoles, des instituts, des centres et des medias, qui leur expliqueront l'importance du travail, les y pousseront, feront valoir ses avantages, les mettront en garde contre le chômage ainsi que la mendicité et ses méfaits, dans le bas monde et dans l'au-delà.
Deuxièmement : priorité du savoir sur tout le reste
Il est incontestable que les premiers versets coraniques révélés et le premier appel du Noble Coran concernent la science (sens des versets) :
«Récite, au nom de ton Seigneur qui a créé, qui a créé l’homme d’une adhérence. Récite ! Ton Seigneur est le Très Noble, qui a enseigné par la plume [le calame], a enseigné à l’homme ce qu’il ne savait pas» (Coran 96/1-5)
Parmi les hadiths qui affirment que le mérite du savant dépasse celui de l'adorateur, car l’adoration profite exclusivement à l'adorateur, alors que la science profite à tout le monde, nous en citerons seulement deux : le Prophète () a dit :
• «Je préfère le mérite de la science à celui de l'adoration, et le meilleur rang dans la religion est celui de la piété » (al-Hâkim)
• «Le mérite du savant par rapport au dévot est analogue à mon mérite par rapport au plus méprisable d'entre vous» (al-Tirmidhî).
Dans son ouvrage Fiqh Al-Awlawiyyât, Dr. Yûssuf Al-Qaradhâwi dit : «Parmi les priorités les plus importantes reconnues par la Charia : la priorité du savoir sur l’action. En effet, le savoir devance l’action, l'oriente et la guide. Il a été rapporté de Mo`âdh : 'La science est un guide et l'action en dépend' (Ibn `Abdul-Barr)»
La science a la priorité sur l'action, car c'est la science qui distingue la vérité de l’erreur dans les croyances, le correct du faux dans les opinions exprimées, la Sunna de la Bid`a dans les actes d'adoration, ce qui est juste de ce qui est corrompu dans les transactions, le licite de l'illicite dans les comportements, le vice de la vertu dans les mœurs, ce qui est accepté de ce qui est refusé dans les critères, ce qui est prépondérant de ce qui ne l’est pas dans les actes et les paroles» Fiqh al-Awlawiyyât, Dr. Yûsuf al-Qardhâwi
Plus loin, Dr. Yûsuf al-Qardhâwi dit : «Partant de là, les jurisconsultes ont établi que celui qui se consacre à l’adoration d’Allah n'a pas droit à la Zakât, contrairement à celui qui se consacre à la science, car le monachisme n'a été nullement prescrit dans l'Islam. En effet, l’activité exclusive de l'adorateur est dans son propre intérêt, alors que celle du savant est dans l'intérêt de la nation». Fiqh al-Awlawiyyât, Dr. Yûsuf al-Qardhâwi
Par conséquent, ceux qui étudient une science utile sont prioritaires par rapport à toute autre personne quand il s’agit de dépenser pour eux ; de même que les institutions scientifiques priment sur toute autre institution.
Troisièmement: Priorité des obligations par rapport aux sunna-s et aux actes surérogatoires :
Parmi les priorités importantes auxquelles on doit s’intéresser dans les œuvres de charité, figure le fait de donner à manger à ceux qui meurent de faim, d’aider ceux qui sont victimes de génocide et de liquidation physique, de fournir des médicaments aux malades, d'héberger les sans-abris, de parrainer les orphelins, de prendre soin des vieillards, des veuves, des infirmes, ainsi que de ceux qui sont victimes de campagnes d'évangélisation, et ne trouvent ni nourriture, ni boisson, ni vêtement, ni école, ni enseignant, ni maison de soins, ni infirmerie, ni centre de da'wa, ni école coranique. Toutes ces tâches ont la priorité par rapport à l'accomplissement répété des Hadjs et des 'Umras, aux dépenses faites pour ceux qui pratiquent la retraite spirituelle dans les mosquées, aux tables de charité au mois de Ramadan, à l'achat et à la distribution du siwâk, qui constituent des actes surérogatoires et des sunna-s.
Ibn Mas'ûd, qu'Allah soit satisfait de lui, a dit : « A la fin des temps, augmentera le nombre de ceux qui accomplissent fréquemment le pèlerinage sans raison. Le voyage sera facile pour eux et ils auront des moyens abondants pour cela. Mais ils retourneront privés de leurs biens et priver de la récompense divine. L'un d'eux parcourt de longues distances désertiques à dos de chameau, alors qu'il ne s'est même pas donné la peine (avant son départ) de réconforter son voisin lourdement éprouvé. » (al-Ghazâlî).
En outre, d'après Abû Nasr al-Tammâr, un homme se présenta à Bichr ibn al-Harith et lui dit : Je me suis déterminé à faire le pèlerinage, as-tu une chose à m’ordonner ?
-Combien as-tu préparé d’argent pour ce voyage?, lui demanda Bichr
-Deux mille dirhams
-Que désires-tu de ce voyage : le détachement des biens du bas monde ? As-tu besoin de voir la Ka'ba ? Ou recherches-tu l'agrément d'Allah, exalté soit-Il?
-Je recherche l'agrément d'Allah, répondit l'homme
-Mais si tu gagnais l'agrément d'Allah en restant chez toi, en dépensant les deux mille dirhams et en étant persuadé de l'agrément d'Allah, le ferais-tu ?
-Oui, répliqua l'homme
-Alors donne-les à dix personnes endettées pour rembourser leurs dettes, à un pauvre pour remédier à sa situation, à un père pour subvenir aux besoins de sa famille, au tuteur d’un orphelin pour réjouir ce dernier ; et si tu veux les donner à un seul d’entre eux, fais-le. En effet, le fait de rendre un musulman heureux, de secourir l'affligé, de supprimer un tort ou d'assister une personne faible, vaut mieux que cent pèlerinages accomplis après le pèlerinage de l'Islam (obligatoire). Vas-y et verse cette aumône comme je te l'ai recommandé ; sinon dis-moi le fond de ta pensée ?
-Ô Abû Nasr, répondit l'homme, le pèlerinage m'est plus agréable
-Si une personne, répondit Bichr en souriant, obtient de l’argent suite à une transaction douteuse, cela la mènera à obéir aux passions de son âme, et à rechercher l’agrément d’Allah par la satisfaction de cette passion, or Allah S'est engagé à n'accepter que l'œuvre des pieux.» (al-Ghazâlî).
Quatrièmement: Priorité du travail permanent par rapport au travail temporaire :
Parmi les priorités les plus importantes sur lesquelles il faut se focaliser dans les œuvres caritatives, l'on trouve l'intérêt pour le travail permanent qui rapporte un revenu quotidien, hebdomadaire ou mensuel aux pauvres et aux nécessiteux au lieu de leur verser des dons ou des sommes d'argent qui peuvent être réduites ou interrompues.
Les associations caritatives, à notre époque, sont aptes à construire des usines, des ateliers, des boulangeries, des restaurants, des imprimeries, des salles de célébration de mariage, etc. Ensuite, elles embaucheront les pauvres et les veuves qui sont capables de travailler en leur versant des salaires quotidiens ou mensuels, selon l’association.
Certes, un tel procédé est meilleur, moralement et matériellement, pour ceux qui reçoivent l'aumône et préférable pour les associations caritatives car ces travaux leur rapporteront des revenus qui leur permettront de développer d’autres activités. D'ailleurs, celui qui examine de près la Sunna prophétique trouvera des hadiths qui donnent la priorité aux œuvres qui sont accomplies de façon régulière, aussi modestes soient-elles, sur les œuvres irrégulières.
Cinquièmement: priorité de l'œuvre profitable à autrui sur l'œuvre qui ne profite qu’à son auteur :
Parmi les œuvres qui ont la priorité dans les œuvres de charité et qui priment sur toute autre œuvre du point de vue de la Charia, l'on trouve celles qui sont les plus bénéfiques à autrui. En effet, plus l'œuvre est profitable aux gens, plus la société se développe, et plus la nation se fortifie, devient plus cohérente et plus évoluée ; et un tel acte est rétribué et récompensé par Allah, le Très Haut.
A ce propos, le Prophète () a dit :
« Les personnes les plus aimées d’Allah sont les plus utiles aux autres. Et l’œuvre la plus aimée d’Allah, exalté soit-Il, est le fait de rendre un musulman heureux en dissipant sa peine, en remboursant sa dette ou en le rassasiant. Il vaut mieux aider un frère dans le besoin que d'effectuer une retraite spirituelle d'un mois dans cette mosquée» (al-Tabarânî).
Parmi les œuvres les plus utiles aux autres et qui doivent bénéficier d’un intérêt particulier : la da`wa à Allah, le Très Haut, en dépensant pour elle, pour ceux qui s’en chargent, ses institutions et ses méthodes. Le Prophète () a dit :
« Celui qui appellera à suivre une voie droite se verra attribuer, outre la récompense correspondante, l'équivalent de la récompense de tous ceux qui l'auront suivie sans que leurs récompenses ne soient diminuées» (Mouslim)
L'enseignement du Noble Coran : en subvenant aux besoins des Cheikhs, des étudiants, des écoles coraniques et des concours. Le Prophète () a dit : «Le meilleur d’entre vous est celui qui apprend le Coran et l’enseigne aux autres» (Boukhari).
Le remboursement de la dette de la personne endettée : Le Prophète () a dit :
«Celui qui désire qu'Allah, Exalté soit-Il, le place sous l’ombre de Son Trône le Jour de la Résurrection, qu'il accorde un délai ou une remise de dette à une personne insolvable» (Ibn Mâdjah)
Construction de logements pour les sans-abris qui passent leurs nuits dans la rue ou qui habitent dans les cimetières, enfants, femmes et vieillards.
Sixièmement : priorité des œuvres dont l’utilité est la plus durable
Au lieu d'accorder aux pauvres et aux nécessiteux des dons divers et coûteux sur les plans matériel et moral, ainsi que des aides financières, qui s'épuisent rapidement, il est préférable que les associations caritatives leur accordent des dons dont l’utilité est plus durable, ce qui pourra leur rapporter des revenus, grâce à Allah, le Très Haut, pendant de longues années. A ce propos, le Prophète () a dit :
«La meilleure aumône est l'ombre d'une tente pour la cause d'Allah, le don d'un serviteur pour la cause d'Allah, ou le don d'une chamelle adulte pour la cause d'Allah» (Ahmed et al-Tirmidhî).
Parmi les bons maximes à ce sujet, citons : «Au lieu de donner un poisson à manger à un pauvre, donnez-lui un filet pour le pêcher».
Parmi les œuvres dont l’utilité est la plus durable et que les associations peuvent accomplir pour les pauvres, citons la distribution de chameaux, d’ovins et de bovins à ces pauvres et à leur famille avec le lait qu’ils produisent ; ainsi que la distribution de volailles, de chevaux, de machines, de petites voitures modernes, d’équipements pour les restaurants, etc.
Certes, le bénéfice, pour les pauvres, de telles œuvres est meilleur pour eux et plus grand que le bénéfice qu’ils tireraient d’un don ou d’une aide matérielle provisoire.
Nous demandons à Allah le succès et l’acceptation de nos œuvres. Que la paix et la bénédiction d’Allah fasse soient sur notre maître Mohammad, ainsi que sur sa famille et de ses Compagnons.