La plus forte concentration de croyants, toutes croyances confondues, à l’occasion du pèlerinage fournit l’opportunité aux musulmans de mettre à profit les potentialités politiques, sociales, idéologiques, économiques et intellectuelles de ce rite, tout en prenant conscience de ses réalités religieuses, spirituelles et divines. Le pèlerinage est une démonstration magnifique de force disponible, inexploitée et brute, qui, si elle est intelligemment orientée peut aboutir à d’immenses bienfaits pour la Oumma (communauté) musulmane.
La foule grandissante d’individus enthousiasmés par leur dévotion et dévouement à une philosophie de la vie, fascinés et enchantés par la sacralité et la pureté de ce lieu et de ces moments, vivant l’expérience collective d’un bouleversement spirituel et transcendant dans sa nature et son contenu, peut donner une voix, un esprit, un espoir, une inspiration, une illumination et une motivation à la Oumma musulmane qui est actuellement dans une situation accablante.
L’Islam est une religion complète qui englobe tous les aspects économiques, sociaux, culturels, éthiques, spirituels et politiques, en plus de ceux de la politique étrangère, ainsi que les besoins de la vie humaine et ceux de la société. Il fournit un concept unique de ‘ibâdât (adorations) qui n’existe dans aucune autre religion du monde moderne.
L’aspect le plus marquant des adorations islamiques est le tawhîd (unicité) qui trouve son expression dans le caractère collectif mis jalousement en évidence par chaque prière. Les prières islamiques ne sont pas juste un mélange de rituels non reliés ; plutôt chaque mouvement, chaque action, chaque inclinaison et chaque prosternation établissent un seul fait : la grandeur et l’unité du tawhîd. Tout acte d’adoration qui n’est pas l’expression de ce tawhîd devient un rituel vide de tout esprit et n’apporte aucun bienfait à celui qui l’accomplit. Avec circonspection, on peut dire que le pèlerinage des temps modernes laisse beaucoup à désirer. L’esprit collectif, une expression du tawhîd, qui est exprimé là-bas pendant les journées sacrées du pèlerinage, ne génère pas ces avantages pour la Oumma comme cela lui a été promis.
Selon Dr. Shariati, «l’accomplissement du pèlerinage est une démonstration simultanée de plusieurs choses. C’est une démonstration de création, une démonstration d’histoire, une démonstration d’unité, une démonstration de l’idéologie islamique et une démonstration de l’unité de la Oumma». Cependant, nous constatons que le pèlerinage, sous sa forme actuelle, n’est rien d’autre qu’une série de rites. Le message que les obligations du pèlerinage inculquent et soutiennent a été totalement ignoré. Comment cela a-t-il pu se produire ? L’histoire est témoin du fait que les exigences politiques des gouverneurs omeyyades et abbassides ont dénué le pèlerinage de son esprit réel. Ils étaient des tyrans, des agresseurs et des usurpateurs, et ils craignaient que le grand rassemblement de musulmans, politiquement conscients, puisse leur enlever leur prétendue légitimité. Pour éviter cela, ils ont commencé à promouvoir uniquement l’aspect spirituel du pèlerinage, et ceci a tellement bien marché qu’au fil du temps les dimensions économiques, sociales, culturelles et politiques (notamment la politique étrangère), qui sont également ancrées dans la religion, ont complètement été masquées par cet aspect.
Il ne reste à présent qu’un semblant d’esprit collectif et l’individualisme est tellement flagrant et visible qu’on n’a pas besoin d’avoir une clairvoyance profonde pour s’en rendre compte.
Le pèlerinage a été décrit comme étant une clé d’accès, à coup sûr, au Paradis. L’accent est mis sur les rituels en tant que finalité en soi, en ignorant totalement la philosophie qui les sous-tend. Le pèlerinage est la sublime cime de tous les sentiments islamiques. Toutes les adorations islamiques ont été rassemblées dans le pèlerinage : les prières, le jeûne, le sacrifice et les aumônes trouvent toutes une expression significative dans le pèlerinage. Alors qu’aucune des ‘ibâdât (actes d’adoration) n’est déconnectée de ses avantages sociaux, économiques, politiques, culturels et spirituels, comment donc le pèlerinage peut-il être considéré uniquement comme une série de rites religieux ? Le pèlerinage a certainement d’immenses dimensions culturelles, sociales, économiques et religieuses qui rejaillissent sur la Oumma, et ses avantages sont tellement énormes qu’ils ne peuvent être surestimés ou exagérément mis en exergue.
Les ennemis de l’Islam craignent le pèlerinage, car c'est l'une des plus grandes concentrations d’êtres humains sur terre. C’est la bénédiction d’Allah, exalté soit-Il. Seul l’Islam connaît une telle démonstration pour dire au monde entier que toutes les adorations islamiques condensées dans le pèlerinage sont l’expression pratique de l’unité de la foi, de la culture et des races. On y trouve la discipline et la fraternité universelle.
Quiconque commence ce voyage vers La Mecque laisse avant tout de côté son identité, et tout ce qui est régional, local, territorial et de vision étroite, et devient immédiatement un membre d’une entité et d’un tout plus large. Cette entité est unifiée par son habit, sa culture, son comportement, sa relation avec Allah, exalté soit-Il, ses rites, ses langues, son appel vers Allah, exalté soit-Il, et avant tout par son emploi du temps quotidien.
Le pèlerin n’est pas un individu : il est lui-même devenu une expression du tawhîd, le message de l’unité et de la solidarité s’opposant à la désunion et l’individualité, qui est une expression du chirk (polythéisme). Quiconque est incapable de faire cela et demeure un simple individu n’a certainement pas compris l’esprit du pèlerinage et ne l’a pas vraiment accompli. Il n’a pas accompli ses responsabilités en tant que musulman, et par conséquent ne mérite pas de rétribution.
Le pèlerinage fournit une plateforme gigantesque à la Oumma pour faire connaître au monde sa vraie identité et nature, et pour exprimer son opinion identiquesur les affaires sociales, politiques, culturelles, ethniques, économiques et de politique étrangère. Par conséquent, le Hadj établit un lien entre le message du tawhîd et les défis auxquels fait face le monde islamique. Il est grand temps qu’en adhérant aux enseignements du Coran, nous admettions la vitalité et le potentiel du pèlerinage et contrarions les plans des ennemis de l’Islam qui font tout leur possible pour neutraliser l’effet de ce grand rassemblement islamique. Dans le Noble Coran, Allah, exalté soit-Il, dit (sens des versets) :
· « Ce n’est pas un péché que d’aller en quête de quelque grâce de votre Seigneur. Puis, quand vous déferlez depuis Arafat, invoquez Allah à al-Mach’ar-al-Haram (Al-Muzdalifa). Et invoquez-Le comme Il vous a montré la bonne voie, quoiqu’auparavant vous étiez du nombre des égarés » (Coran 2/198).
· « Allah a institué la Ka’ba, la Maison sacrée, comme un lieu de rassemblement pour les gens. (Il a institué) le mois sacré, l’offrande (d’animaux) et les guirlandes, afin que vous sachiez que vraiment Allah sait tout ce qui est dans les cieux et sur la terre ; et que vraiment Allah est Omniscient » (Coran 5/97).
L’Islam encourage les deux aspects physique et spirituel de l’existence humaine, et les considère tous deux comme étant d’importants composants d’un grand modèle de beauté appelé « la forme la plus parfaite » (Coran 95/4) et tout ce que l’on fait ou que l’on s’abstient de faire par respect des ordres d’Allah, exalté soit-Il, est appelé ‘ibâdât (actes d’adoration). Selon le Noble Coran, quand les gens disent (sens du verset) : « Seigneur ! Accorde nous belle part ici-bas, et belle part aussi dans l’au-delà ; et protège-nous du châtiment du Feu ! » (Coran 2/201) Allah, exalté soit-Il, dit (sens du verset) : « Ceux-là auront une part de ce qu’ils auront acquis. Et Allah est prompt à faire rendre compte » (Coran 2/202).
Même pendant l’époque préislamique, le mois du pèlerinage comportait des avantages énormes aussi bien pour les païens que pour les croyants de la péninsule arabique. Les gens reconnaissaient le caractère sacré de ce mois, et une amnistie générale était déclarée, ce qui protégeait leur commerce et leurs caravanes. Leurs marchés étaient ouverts et ils pouvaient échanger leurs marchandises en toute liberté. Plus tard, l’Islam a sanctifié la paix et la stabilité de La Mecque et a organisé la vie des Mecquois durant et après le mois du pèlerinage pendant toute l’année. Ceci a rendu illégale dans les environs de La Mecque toute forme de violence, d’effusion de sang et d’agression. Les gens étaient à l’abri de toute coercition, intimidation, et peur, pour que les gens se livrent à leurs activités intellectuelles, spirituelles, économiques et sociales dans une atmosphère de paix et de sérénité. On ne peut pas ne pas nier le fait que le gouvernement d'Arabie saoudite rende des services inestimables à la Oumma en permettant à un si grand nombre de musulmans du monde entier d’accomplir le pèlerinage en paix. Cependant, en même temps il lui incombe encore une plus grande responsabilité pour exploiter entièrement l’esprit du pèlerinage pour accroître la stature, la force et la dignité de la Oumma musulmane à travers le pèlerinage.
Les musulmans viennent et font preuve d’une démonstration de fraternité musulmane, d’unité de la Oumma et de discipline. Seulement, ces énergies doivent être guidées et pouvoir s’exprimer. Plus particulièrement à notre époque où la Oumma fait face à des défis de magnitude inconnue, nous devons percevoir le pèlerinage, non pas seulement comme une série de rites, mais comme une institution qui soutient aussi bien la puissance et la virilité que la spiritualité de la Oumma musulmane. Le pèlerinage peut produire d’énormes avantages culturels, sociaux, économiques et politiques (notamment en politique étrangère). Nous avons uniquement besoin de les exploiter (sens du verset) : « … En vérité, Allah ne modifie point l’état d’un peuple, tant que les [individus qui le composent] ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes… »(Coran 13/11).